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N°6 - Tome 6, Chapitre 3 complet

Chapitre 3 – La raison pour laquelle…

La raison pour laquelle a été créé le Bureau gouvernemental n’était-elle pas pour débarrasser le peuple de ses malheurs et bâtir un monde radieux et paisible ?
Le peuple souffrait et le gouvernement s’enrichissait. Sur la vaste terre, personne parmi le peuple n’accusa. Il prit le pinceau et chanta.
(Chanson folklorique chinoise traduite en japonais)[1]

 Safu[2] poussa un cri.
Est-ce que c’est moi ?
Pourquoi, pourquoi, pourquoi… ?
Safu, tu es réveillée ? Bonjour. Comment te sens-tu ? Ooh, tes perceptions sont toutes revenues à la normale. Fantastique !
Est-ce que c’est moi ?
Non, ce n’est pas moi.
Ce n’est pas moi.
Qu’est-ce que tu dis ? Regarde. Tu es tellement belle. Et tu n’es pas seulement belle. Oui, tu as acquis la beauté et la force. La vie éternelle également ! N’est-ce pas merveilleux !
Non. Non !
 Aidez-moi !
Faites-moi redevenir normale.
Faites-moi redevenir comme j’étais avant.
Safu. Il ne faut pas t’énerver. C’est douloureux, n’est-ce pas ? C’est cela, quand tes émotions s’exaltent, la douleur apparaît. Tu as mal à la tête. Alors, calme-toi, calme-toi. Calme-toi et pense à la forme appropriée que tu devrais avoir. C’est cela… Gentille fille. Tiens, je t’aide. Voilà, calme-toi…
Shion…
Shion où est-il ?
Oublie-le. Tu t’es réincarnée. Oublie tout ce qu’il y avait avant ta réincarnation. Tout. Quel genre de personne tu étais, quel nom tu avais, tes souvenirs, tout cela, tu n’en as pas besoin, Safu.
Je ne veux pas oublier.
Je ne peux pas oublier.
Je… n’oublierais pas !
Demain, Safu, c’est le festival. C’est le jour où l’on célèbre la naissance de cette ville. C’est un jour de fête. On l’appelle leJour Sacré. Toi aussi, tu le connais bien. Car avant, tu étais une citoyenne de cette ville.
Shion.
Shion, où es-tu ?
Les festivals, ce sont des stupidités. Ils les célèbrent sans y penser réellement, ils ne font que du bruit. Ce sont des idiots, n’est-ce pas. Enfin, s’ils ne l’étaient pas, ce serait problématique. Ha ha ha… Ce qui est réellement sacré se trouve ici. Toi et moi. Devrions-nous porter un toast, Safu ? Tu bois du vin ?
Je n’oublierais pas.
Je ne t’oublierais pas.
Je ne peux pas t’oublier.
Safu. Pourquoi montres-tu de la tristesse ? J’ai l’intention de t’offrir un splendide cadeau. A partir de maintenant, je te guiderais dans une existence où tout le monde t’adorera.
Je continuerais à me souvenir de toi.
Parce que tu es mon cœur.
Je… ne t’oublierais pas.
C’est embêtant. Je pensais pourtant que tu étais une enfant raisonnable. Je suis un peu désappointé, Safu. Enfin, bon. Bientôt, tu comprendras ma grandeur. Alors, tu te prosterneras et tu seras reconnaissante. N’est-ce pas, Safu ? Ah, non, tu n’as plus besoin de ce nom. Jetons-le. Un nouveau futur t’attend. Qu’est-ce que tu en penses ? N’es-tu pas excitée rien que d’y penser ?
Je, je ne jetterais pas mon cœur.
Je ne perdrais pas mes souvenirs.
On ne me prendra pas mes sentiments.
Shion,
Où…
Allons, viens. Viens par ici.
 Shion, où es-tu ?
 
Shion avait terminé de parler. Il avait raconté autant que possible de détails en commençant par la nuit de tempête où il avait rencontré Nezumi il y a quelques années jusqu’à en arriver à cet instant. Il ne lui était pas possible de dire combien de temps cela avait pris. Il n’était pas sûr lui-même d’avoir pu transmettre avec exactitude et de manière appropriée ce qui l’agitait, mais il l’avait raconté quand même. Shion avait parlé calmement et objectivement en laissant de côté autant que possible les diverses émotions qui avaient germé dans son cœur. De ses propres expériences, de ce qu’il avait entendu de ses propres oreilles, des scènes qui s’étaient déroulées devant ses yeux, des sons que lui avaient transmis ses tympans… enfin c’était son intention.
Cependant, à la fin, sa voix avait tremblé. Il ne put contenir une supplique afin de s’y cramponner.
Je suis faible. Je suis tellement impuissant. Je n’arrive même pas refreiner mes émotions avec ma propre force.
 Il avait serré les points.
 Tu le savais, Shion. Tu le savais depuis longtemps. N’as-tu pas jusqu’ici été, encore et encore, confronté à la réalité de ta faiblesse ? Pourquoi es-tu à présent effrayé de ton impuissance et de ton ignorance ? Même si tu as honte, tu ne peux pas avoir peur. Si tu faiblis tu ne pourras plus aller de l’avant. Tu es arrivé si loin. Tu ne peux plus reculer. Tu ne peux pas être encore plus faible.
 Shion prit une profonde inspiration et ajouta :
… Je veux sauver Safu. Peu importe les moyens, il faut que je la sorte de là. C’est pour cela que je suis venu ici. Nezumi m’a amené ici. Où se trouve cet endroit ? Comment faire pour s’infiltrer dans la Maison de redressement à partir d’ici ? Je ne peux même pas l’imaginer. Mais je dois absolument le faire. C’est un fait certain. Et… C’est moi qui ai impliqué Nezumi. Nezumi s’expose au danger pour moi… Cela aussi est la vérité.
 Le vieil homme ne dit rien.
Le calme les enveloppa.
 Le silence devint pesant. Shion eut l’impression de pouvoir sentir ses os crisser.
A côté de lui, Nezumi se baissa. Il ramassa la chemise qui avait glissée de la main de Shion sans qu’il s’en aperçoive, et la lui redonna[3].
Merci.
Kss, rit Nezumi.
Dis donc toi, même dans un moment pareil, tu es un jeune maître poli. Je peux même ajouter « gamin orgueilleux et ignorant du monde.
Je suis orgueilleux ?
C’est ça. Je ne suis pas venu ici pour toi. Ne te surestime pas autant, jeune maître.
Avant que Shion ne puisse lui répondre, Nezumi se retourna. Son profil sans expression rejeta les mots et le regard de Shion.
Rô.
Le vieillard ne répondit pas à l’appel de Nezumi. Ses yeux étaient fermés et il ne bougeait pas. Il donnait l’impression d’être en train de méditer ou bien de se consacrer à une profonde prière.
Rô, les paroles de Shion ne sont pas des mensonges. C’est la vérité. A l’intérieur de N°6, des victimes des guêpes parasites sont apparues. Shion a survécu. Cependant, la majorité des victimes n’a pas survécu. Ils sont tous mort d’une étrange manière.
Nezumi se tut et jeta un œil à Shion. L’ombre d’un doute traversa son regard, mais ce fut juste l’espace d’un instant.
Rô ? Est-ce que vous m’avez écouté ?
La tête du vieillard s’inclina légèrement.
Je t’ai écouté. Ta voix parvient clairement aux oreilles de ceux qui t’écoutent.
A-t-elle atteint votre cœur ?
Bien sûr.
Alors répondez-moi. Non, je souhaite que vous nous appreniez.
Le destin de N°6 ?
Non. Je n’ai pas besoin de l’entendre. Je connais déjà son destin. Effondrement et disparition. Je serais celui qui appuiera sur la gâchette.
Alors… que veux-tu entendre ?
La vraie nature des guêpes parasites.
Shion laissa échapper une petite exclamation. Il fixa le profil de Nezumi, les yeux écarquillés, et tourna son regard vers le vieil homme.
Que je raconte la vérité sur la nature des guêpes parasites ?
Oui.
Pourquoi… me le demander à moi ?dit le vieillard.
Parce que vous savez. J’en ai le sentiment. Je l’ai toujours pensé. Que… vous saviez peut-être la plus grande partie de ce que je veux connaître.
Nezumi expira. Les lignes dures de son profil s’estompèrent et le doute les assombrit.
Vous savez. Parce que vous étiez un habitant de N°6… Non, parce que vous êtes l’un des fondateurs de N°6. Je me trompe ?
Cette fois, Shion resta silencieux. Sa voix resta coincée dans sa gorge.
Un des fondateurs ? Ce vieillard ?
Est-ce que mon affirmation est fausse ? Rô.
Le vieil homme ne répondait toujours rien. Nezumi leva son visage vers le plafond. Là-haut, ne s’amassait que la sombre obscurité. Cependant, Nezumi cligna des yeux comme s’il fixait quelque chose d’éblouissant. Ensuite, d’un mouvement exceptionnellement lent, il leva un bras.
Ceci.Nezumi tenait entre ses doigts une feuille de papier rectangulaire. Il la donna au vieillard.
C’était une photographie. Une ancienne, prise sur du papier photographique.
Un certain vieil homme[4] la possédait. Ta maman s’y trouve. Je l’ai un peu empruntée dans ses dossiers, nous avait-il dit.
Ah, ça…
Lorsqu’ils avaient rendu visite à Rikiga sur les conseils de Karan[5], la photographie s’était mélangée aux documents éparpillés. Sa mère plus jeune de quelques dizaines d’années et ses amis posaient dessus. Shion se souvint que Rikiga lui avait raconté qu’il avait pris cette photo la dernière fois qu’il était allé à N°6, quand il était encore journaliste.
En ce temps-là, N°6 n’était pas fermée comme aujourd’hui. Il n’y avait pas de permis nécessaire pour sortir et entrer dans la ville. Il n’y avait pas encore de loi interdisant complétement l’entrée de la ville aux gens qui n’avaient pas de permis, peu importe les raisons. Les portes spéciales ou les murs en alliage particulier n’avaient pas encore été installés. Rikiga lui avait dit que ce fut la dernière époque où l’on avait pu librement aller et venir dans les environs de la ville.
La jeune femme qui pose au centre de la photo est la mère de Shion. Elle s’appelle Karan.
Karan.
Vous la connaissez, n’est-ce pas ? Vous posez ensemble sur la photo. Ou bien l’avez-vous oubliée ?
Ensemble ? Cet homme, avec ma mère ? s’exclama Shion surpris.
Il savait que sa bouche était grande ouverte. Il ne put s’empêcher de dévisager le vieil homme aux cheveux blancs. Il s’imagina que son regard devait être sans gêne, mais il ne parvint pas à le détourner.
Il connaît ma mère ? Cet homme qui vit dans une grotte souterraine, qui est appelé Ancien[6] a un lien avec Karan. Impossible, rien ne me vient à l’esprit.
Une telle chose, c’est impossible.
Pendant un instant, son esprit fut engourdi par l’étonnement.
Il avait rencontré Nezumi, et les limites de son monde s’était brisées. Le monde dans lequel il avait vécu jusqu’alors s’était effondré. A chaque instant, il était surpris. Les choses auxquelles il croyait, ce pourquoi il n’avait aucun doute, tout avait été complétement inversé et montré de manière opposée. Combien de fois déjà avait-il expérimenté un tel suffoquement.
L’étonnement, l’admiration, la stupéfaction, la confusion et la douleur. Il avait goûté à différents sentiments et sensations. Shion avait été mis devant le fait de sa propre ignorance avant qu’il ne rencontre Nezumi, et que ne sachant rien, il avait vécu sans chercher à savoir.
 C’est pourquoi c’était douloureux. Douloureux au point qu’il pourrait en gémir. Cependant, non, pour cette raison, il n’hésiterait pas à être surpris et à se sentir perdu.
 Shion, à sa propre manière, souhaitait s’assurer de la vérité à propos de lui-même et du monde. Il était déterminé à s’en assurer. Oui, il n’hésiterait pas à être surpris et à se sentir perdu. Il n’aurait pas peur. Bien sûr, à chaque fois qu’il était étonné et désorienté, une fine couche se détachait, et devant ses yeux, une nouvelle facette du monde se déployait. Pour lui, c’était une expérience précieuse.
 Pourtant, cette fois, il était uniquement surpris. La bouche ouverte, il fixait le vieillard.
 Les doigts de Nezumi touchèrent les lèvres de Shion. Ils étaient froids.
 Pourquoi le bout de ses doigts étaient-ils toujours si froids ?
Une sensation sans relation avec la surprise ou la confusion le traversa. Nezumi fit doucement claquer sa langue.
Ferme la bouche. Comme ça, tu as une expression incroyablement stupide sur le visage.
Non… C’est ceci qui est incroyable… Nezumi, qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi est-ce que ma mère apparaît ici ? Le fait que cette personne et ma mère soient des connaissances… Qu’est-ce que ça signifie ? lui demanda Shion.
Qu’est-ce que j’en sais ! C’est la raison pour laquelle je le questionne. Sur la photo que possédait le vieux quelle est la personne qui se tient à côté de ta mère ?
 Nezumi retint un peu sa respiration : C’est Rô !
La photo tomba des doigts du vieil homme. Sa chute ressembla à la tombée d’un pétale de fleur et elle toucha doucement le sol.
Quand j’ai vu cette photo, moi aussi j’ai été surpris. J’ai dû avoir le même genre d’expression que toi, mais en moins stupide que toi maintenant.
 Nezumi ramassa la photo et la montra à Shion.
Shion se pencha en avant et la fixa.
C’était une photo assez ancienne.
Plusieurs jeunes gens se tenaient alignés devant un bâtiment gris.
Au centre, se tenait Karan.
Ses cheveux étaient plus longs et elle souriait timidement. C’était le sourire de sa mère du temps où elle était encore une jeune fille. A sa droite, il y avait un homme au visage fin et de grande taille. Il tenait une blouse blanche dans une main. Son regard était doux. Même si la photo était vieille, Shion devinait la profonde intelligence dans les yeux de l’homme.
Mon parrain. Nezumi avait pointé du doigt cet homme et avait dit cela.
Son parrain.
Shion s’agenouilla devant le vieil homme.
Dites-moi.dit Shion d’une voix enrouée, la gorge douloureusement sèche.
Dites-moi ce que vous savez sur  cette photo. Je vous en prie !
Le torse du vieil homme oscilla légèrement.
Il lui évoqua des herbes de pampas se balançant dans le vent. Ses cheveux blancs luisaient faiblement dans la lumière des bougies, comme les épis de la plante.
Savoir la vérité sur cette photo et sauver ton amie, tu penses que ces deux choses sont liées, Shion ?
En réponse, Shion secoua lentement sa tête.
Je ne sais pas.répondit-il sincèrement. Il ne savait vraiment pas.
Il devait sauver Safu le plus rapidement possible, que ce soit d’une minute ou d’une seconde. Pour cela, de quoi avait-il besoin ? La vraie nature des guêpes parasites, la relation entre sa mère et le vieillard, et le futur de N°6… Instamment, était-il nécessaire de savoir tout cela ? Shion ne pouvait pas répondre.
Il souhaitait savoir. Il le souhaitait à un tel point qu’il en languissait.
Mais, maintenant, ne voulait-il pas plus que tout sauver Safu ?
Je ne sais pas… Savoir la vérité, pouvoir sauver Safu sont peut-être deux choses complètement différentes. Seulement…
Seulement ?
Seulement, il faut me… non, il faut nous dire la vérité. Les habitants de N°6, moi compris, nous avons toujours été tenu éloigné de la vérité. Nous avons vécu caché derrière les apparences de la vérité, derrière les apparences de la réalité qui nous entourait.
Vous n’avez pas essayer de voir, n’est-ce pas ?glissa Nezumi d’un ton indifférent.
Si vous aviez regardez, vous auriez pu voir. Si vous aviez cherché la vérité, vous l’auriez trouvée. Vous n’avez rien fait. Vous vous êtes enivrez dans une fausse prospérité et installez dans la paresse. Vous n’avez pas essayé de deviner la réalité. Votre stupidité n’a-t-elle pas nourrie le monstre appelé N°6 jusqu’à maintenant ?
Tu as raison.lui répondit Shion dans un souffle.
C’est exactement cela.
Cependant, Nezumi, lorsque je vivais avec toi, j’ai pu effleurer le sommet de la vérité. Je l’ai effleurée de mes mains. Je suis parti de là. Cela aussi est sans aucun doute vrai.
Je suis parti de là, et maintenant, je suis ici.
L’enlèvement de Safu, l’apparition des guêpes parasites… et la transformation de N°6 en monstre, tout cela est arrivé parce que nous avons détourné les yeux de la vérité. Le péché que nous avons commis est lourd… Je m’en suis rendu compte. C’est pourquoi je veux savoir. Je veux confirmer de mes propres yeux la véritable apparence de ce monde…
Shion se mordit la lèvre.
C’est faux.
Il ne pensait pas que ses paroles contenaient des mensonges. Cependant, elles étaient vaniteuses. Le regret et le repentir du passé n’étaient pas les seules raisons pour lesquels il souhaitait connaître la vérité.
La curiosité ? Non, ce n’était pas aussi superficiel que de la curiosité. Son désir était profondément enraciné. Il tourbillonnait au plus profond de son cœur.
C’était un monde que son imagination ne pouvait atteindre, un intérêt pour l’inconnu. Plus que tout… Plus que tout, c’était un espoir de découvrir quelque chose en rapport avec Nezumi.
Nezumi ne lui avait montré qu’une infime part de lui-même. En fait, il avait de nombreuses facettes que Shion ne devinait même pas. Il le ressentait vivement tout le temps et n’importe où.
D’où viens-tu ?
Où es-tu né ?
Comment as-tu vécu jusqu’à cette nuit de tempête ?
Que penses-tu, à quoi crois-tu, que rejettes-tu ?
La promesse de me dire ton vrai nom que tu n’as pas encore tenue…
Son cœur lui faisait mal. Sa douleur venait du fait qu’il voulait savoir pour lui-même et personne d’autre. Alors il avait fait semblant. Il avait prétendu être un ami concerné, un jeune innocent qui aspirait à la vérité.
Ses mots et son cœur étaient divergents.
A quel point les mots qui s’écoulaient de sa bouche étaient-ils beaux et logiques ?
Et parce qu’ils étaient beaux et logiques, ils renfermaient des mensonges. Ses propres paroles dupaient son cœur.
Shion mordit sa lèvre. Il la mordilla durement.
Ne puis-je m’exprimer que de cette manière ?
Pourquoi ne puis-je pas parler comme Nezumi ? Je ne peux qu’utiliser des mots superficiels et creux. Pourquoi est-ce que je fais semblant ? Pourquoi est-ce que je parle alors que je ne suis pas prêt à m’exposer ?
Malgré le fait que j’ai vécu plusieurs mois auprès de lui…
Il avait tourné son regard vers Nezumi sans s’en rendre compte. Il était impossible qu’il n’ait pas remarqué la vanité contenue dans les mots de Shion, mais le profil de Nezumi ne montrait ni mépris, ni moquerie, ni pitié. Non, son visage était baissé et il regardait dans le vide sombre.
Nezumi ne jouait jamais avec les mots.
Safu était pareil.
Comme un éclair dans la nuit noire, une pensée lui vint à l’esprit.
Safu aussi n’avait jamais manipulé ses mots. Toutes les paroles qu’elles avaient adressées à Shion étaient vraies. Elles avaient été nombreuses, directes et résolues.
De nouveau, il devait avoir honte de lui-même.
Que ce soit vis-à-vis de Nezumi ou de Safu, il devait avoir honte.
Je… veux savoir.dit-il, forçant chaque mot à sortir.
Il y a tellement de choses que j’ignore… C’est pourquoi, je veux savoir… C’est tout.
De nouveau, le corps du vieil homme oscilla.
Savoir ne te rendra peut-être pas heureux. Tu regretteras le temps où tu ne savais rien… Une telle réalité t’attend peut-être, Shion.
Je m’y suis préparé.
Au lieu de vivre heureux dans l’ignorance, il préférait encore la douloureuse vérité. Au lieu d’une imitation du bonheur, il préférait l’angoisse et la souffrance de la vérité. Avec cela pour nutriment, il pourrait avancer. Il ne pourrait pas s’appuyer sur une illusion, qui ne lui avait jamais rien apporté.
Shion contrôla son cœur. Il confirma ses propres sentiments.
Je ne me trompe pas. Mes sentiments sont à l’intérieur de moi, je ne trompe personne.
Je m’y suis préparé. Je pense être prêt. Même si… je ne peux pas affirmer que je ne le regretterais pas… Peut-être que je le regretterais de nombreuses fois… Mais, je pense que c’est toujours mieux que de rester dans l’ignorance. Ce sont… mes vrais sentiments… Euh, c’est pourquoi, je…
Quand il voulu parler sincèrement, sa langue refusa de fonctionner. Ses mots ne s’écoulaient plus aussi facilement qu’un instant auparavant.
Les paroles sincères étaient lourdes de sens.
Elles s’alourdissent en contenant à satiété les motivations, les émotions et les pensées de celui qui parle.
Soudainement, le vieil homme sourit. Shion en eut l’impression.
Le bref sourire du vieillard disparut et il ferma lentement les paupières. Alors le silence se fit.
Rô, pourquoi gardez-vous le silence ?s’impatienta Nezumi en haussant le ton.
Rô !
Elyurias.firent les lèvres du vieil homme, dans un chuchotement. Pour Shion, ce mot recelait une signification inconnue.
Elyurias ?
 Nezumi avait froncé les sourcils. Il semblait que lui non plus ne comprenait pas.
C’est un nom.
De qui ?
Elle.
Elle ?
Nezumi, tes yeux.
Hein ?
Ferme les yeux. Shion, toi aussi.
Les garçons se regardèrent. La voix du vieil homme était basse et douce, et Shion sentit que son timbre contenait un ordre léger. Malgré cela, il se rendit comptent qu’il y obéissait. Il laissa son corps suivre le courant tranquille du fleuve, à son insu il fut emporté jusqu’à la mer. Ce fut la sensation qu’il eut.
Shion avait fermé les yeux.
Elyuriaschuchota à nouveau le vieil homme
Elle était une grande souveraine. Une existence exceptionnelle.
Elyurias…
Près de Shion, Nezumi prit une inspiration.
J’ai l’impression que c’est arrivé dans un très lointain passé. Sur cette terre… Oui, c’est une histoire où il n’y avait pas encore de murs sur cette terre. A la place des murs existait une profonde forêt verte. Il y avait des lacs et des marais, et des prairies. Tous étaient liés et l’harmonie était conservée. Le paradis… C’était peut-être le dernier paradis qui restait sur cette planète. Un paradis qui aurait survécu aux destructions de l’humanité. Une terre de miracles. Un lieu qui cultivait la vie et adoucissait la mort. C’est là qu’elle vivait. Elle existait réellement. C’est moi qui l’ai trouvée.
La voix du vieil homme devint encore plus basse.
Aah, c’est faux… C’est orgueilleux de le présenter ainsi. Je ne l’ai pas trouvée. Je l’ai rencontrée. Par hasard… comme si j’étais attiré par les dieux, je l’ai rencontrée. Elyurias, elle était une grande souveraine. Non, même maintenant, elle l’est encore. Aujourd’hui aussi, elle règne.
Elyuriasimitant le vieil homme, Shion aussi avait chuchoté son nom.
 Elyurias.
Ce mot ne résonnait pas naturellement à ses oreilles et sur sa langue. Il n’arrivait pas à imaginer quel genre de voix et d’apparence avait la personne qui portait ce nom. Sans parlé de quelqu’un qui était une grande souveraine… Cette histoire était trop exagérée, et Shion pencha la tête d’incrédulité.
Une grande souveraine. Un règne. Les deux étaient louches. Il sentait la domination. Y avait-il jamais eu un royaume ici autrefois ? Un souverain appelé Elyurias qui régnait sur tout, comme aujourd’hui N°6 dominait cette terre…
« Elle » avait dit le vieil homme. Alors ce serait une reine.
Un paradis sur lequel aurait régné une reine ?
Cela ressemble à un drama[7] à petit budget. C’est difficile à croire.
Brusquement, l’air vacilla. Shion entendit un gémissement rauque. Ce qui entra en premier dans son champ de vision fut Nezumi, les deux mains couvrant son visage et se pliant en deux. Il semblait prêt à tomber à genoux.
Nezumi !
En un clin d’œil, le corps de Nezumi s’effondra dans ses bras tendus. Shion ressenti le poids et la chaleur de son corps. Un gémissement bas s’échappait d’entre ses doigts.
C’était la même chose. C’était la même chose que cette fois-là. Dans leur maison souterraine, ils étaient en train de parler des guêpes parasites. Leur sujet de conversation venait de passer de la vraie nature des guêpes parasites aux virus émergeants, lorsque soudain Nezumi s’était effondré.
Ils buvaient de l’eau chaude. Shion se souvenait comment la tasse de Nezumi avait glissé de ses mains et était tombée en éclaboussant les livres empilés avant de rouler sur le sol.
Nezumi… Détends-toi. Est-ce que tu m’entends ?
Tenant dans ses bras le corps de Nezumi, Shion s’agenouilla.
Si c’était la même chose que la dernière fois, il n’y avait pas de quoi s’affoler. A ce moment-là, Nezumi était revenu à lui sans problème. Si c’était la même chose…
Aïe !Des doigts s’étaient agrippés au bras de Shion. Nezumi haletait, sa poitrine montant et descendant fortement. Le bout de ses doigts frissonnants de froid inquiéta encore plus Shion.
De l’eau !cria-t-il en regardant autour de lui. Personne ne bougea.
De l’eau, s’il vous plaît ! N’importe qui !
Va-t-il mourir ?dit une voix derrière eux. Une voix froide et monocorde. C’était Sasori, l’homme couleur de sable. Il était apparu derrière Shion à son insu.
Va-t-il mourir ? Si c’est le cas, il n’a pas besoin d’eau.Dans le ton de Sasori flottait de la raillerie.
Il n’y a pas besoin de donner quelque chose à un mourant. A plus forte raison à celui qui est parti une fois. Totalement inutile.
 Shion se retourna. Il leva les yeux vers l’homme qui avait dit d’un ton tranchant « Totalement inutile ».
Apportez-en !lui ordonna-t-il. Il ne pensait pas avoir déjà donné un ordre si autoritaire. Mais, les mots étaient sortis sans dissonance.
 Apportez-moi de l’eau. Vite !
 Sasori ne bougea pas. Le bord de ses yeux grands ouverts tressautait. Une goutte de sueur coula au coin de son œil. Chapitre 3 partie 5
Tenez…
 Un bol de bois fut présenté à Shion. Il était rempli environ à moitié. Un petit enfant décharné le lui tendait comme une offrande.
Maman… m’a dit de l’amener.
Merci.
Shion accepta le bol. L’enfant se retourna et disparu dans l’obscurité à petits pas pressés.
Chi-chi.
Une souris grimpa sur l’épaule de Shion. Elle regarda sa main le museau frémissant.
Nezumi… Bois.
En soutenant le corps de Nezumi d’un bras, il versa doucement de l’eau dans sa bouche. Sa gorge bougea et il avala.
Nezumi, Est-ce que tu m’entends ?
Ses paupières se soulevèrent, dévoilant ses prunelles grises. Shion les trouva belles. Cette couleur lui rappelait le ciel à l’aurore[8]. Ses prunelles renfermaient et émettaient doucement de la lumière.
Une beauté semblable à l’aurore.
Une aurore, qui à l’avenir, liait quelque part l’espoir de vivre. Un éclat qui bénissait les gens résolus à vivre en toutes circonstances jusqu’à aujourd’hui. C’est pour cela que c’était beau.
J’ai reçu tellement d’espoir de la part de la beauté de ses prunelles.
Shion claqua la langue envers lui-même.
Idiot, ce n’est pas le moment d’être fasciné par Nezumi.
… Shion.
Tu as repris tes esprits ? Bois de l’eau doucement, c’est ça, bois tout. Maintenant, respire profondément.
 Nezumi suivit docilement les paroles de Shion. Il but toute l’eau, prit une profonde inspiration et la relâcha.
Est-ce que ça va ?
Plus ou moins.
As-tu mal à la tête ? Des nausées, des palpitations ?
Dix.
Quoi ?
C’est la réponse à trois plus sept. Et pour vingt-et-un ?
Ah… Trois fois sept.
Il semblait que Nezumi se rappelait bien des questions que Shion lui avait posées la fois précédente, lorsqu’il avait repris connaissance.
Shion failli en rire.
La réalité était rude et cruelle. Les dernières heures écoulées avaient été remplies de cris, de douleurs et de morts humaines. Elles avaient été teintées de terreur, de désespoir et de regrets. Cependant, il y avait eu aussi beaucoup de moments chaleureux, d’instants où son cœur avait frémit. Ses souvenirs avec Nezumi avaient toujours été ainsi. Ils avaient apporté à son cœur tiédeur et excitement.
Des souvenirs ?
Shion étira son dos et mis plus de force dans ses bras.
Pourquoi ai-je pensé à ces moments comme à des souvenirs ?
Dans les bras de Shion, Nezumi chuchota.
J’ai entendu le vent.
Le vent ?
Le vent chantait. J’ai pu entendre la chanson du vent. dit Nezumi en se soulevant.
Avant aussi je l’avais entendu. Mais cette fois, c’était plus… je l’ai entendu plus clairement. Elle avait une douce mélodie…
Quel genre de chanson était-ce ?
C’était…
Cette chanson, peux-tu la chanter ?
Moi ? Ah,… et bien. Je me demande si je peux la chanter.
J’aimerais l’entendre.
Les prunelles de Nezumi scintillèrent et ses lèvres bougèrent.
Une douce mélodie s’en écoula.

Le vent emporte les âmes, les humains volent les cœurs
Oh Terre, oh Pluie et Vent, oh Ciel, oh Lumière
Gardez tout ici
Gardez tout ici
Vivez ici
Oh Âme, oh Cœurs, oh Amour, oh Sentiments
Revenez ici
Restez ici

 La souris sur l’épaule de Shion s’était figée. Elle avait arrêté de bouger comme si elle s’était changée en pierre et sa respiration avait ralenti. C’était pareil pour les humains. Les gens dans l’obscurité étaient aussi figés, charmés par ce qu’ils entendaient. Leurs yeux s’étaient fermés et leur cœur s’en remettait à la chanson.
 Tout s’était arrêté. Même le temps semblait s’être figé. La voix de Nezumi et sa chanson pénétraient les gens, les enveloppaient, les ébranlaient, leur faisant croire que leur corps et leur cœur flottaient.
 
Le vent emporte les âmes, les humains volent les cœurs
Pourtant, je resterais ici
Je continuerais de chanter
Je vous en prie
Délivrez ma chanson
Je vous en prie
Acceptez ma chanson

 La chanson s’arrêta et quelqu’un soupira doucement. Ce ne fut pas le seul. Ici et là dans l’obscurité, on pouvait entendre de légers soupirs.
Nezumi secoua lentement la tête.
Je ressens de la nostalgie. J’ai l’impression d’avoir souvent entendu cette chanson dans un lointain passé. Quelqu’un me l’a apprise.
Shion leva le visage et questionna le vieil homme assis.
Est-ce qu’il y a un lien entre cette chanson et la personne appelée Elyurias ?
Est-ce ce que tu penses, mon enfant ?
C’est ce que je pense.
A l’instant où il répondit, Shion en fut certain.
Nezumi et Elyurias étaient reliés.
Les yeux du vieil homme s’étrécirent et son regard erra dans les airs.
Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas entendu. Je pensais qu’elle avait déjà complétement disparu de cette terre. Je vois… Alors, il y a encore des personnes capables de la chanter ?
Le vent chantait.
Nezumi essuya ses lèvres mouillées du revers de la main.
Non, c’était peut-être quelqu’un qui chantait dans le vent. Et… j’ai pu l’entendre. Je suis devenu capable de l’entendre.
Le vieillard acquiesça.
Depuis quand ?
Avant aujourd’hui. Oui… Depuis un peu avant la Chasse à l’homme. C’est la troisième fois… Ma conscience s’évanouit brusquement, comme la tombée du rideau au théâtre. Un paysage vert apparaît… et alors…
Les prunelles de Nezumi se posèrent sur Shion. Son regard trembla. Cela lui rappela la nuit de la tempête. La nuit où Shion avait rencontré Nezumi pour la première fois. Ce garçon qui était apparu devant lui, trempé et tâché de sang. Sa fragilité lui avait donné l’impression qu’il pourrait le briser rien qu’en le touchant. C’était cette fragilité, cette fragilité et la vivacité disproportionnée de ses prunelles qui l’avaient fascinées. Il lui avait tendu la main.
Je vais te soigner. Ces mots avaient quitté ses lèvres sans dissonance, ni résistance. Il avait eu le sentiment qu’il aurait pu faire n’importe quoi. Il devait protéger ce garçon. Il l’avait ressenti comme une mission. Il n’avait jamais ressenti un tel besoin de protéger, que cela soit avant ou après ce moment.
Un moment intense. Un moment intense qui restera gravé pour toute sa vie. Chaque fois qu’il s’en souvenait son cœur battait la chamade.
La fragilité qui avait avivée l’instinct de protection de Shion à ce moment-là avait été balayée sans laisser aucune trace par Nezumi lors de leurs retrouvailles quatre ans plus tard. Aujourd’hui, cette fragilité était revenue dans son regard.
Le cœur de Shion battit la chamade.
Je ne sais pas trop. J’étais encore très jeune et je marchais en fendant les hautes herbes. Je pouvais… voir le ciel.
Oui.
Un ciel d’un bleu intense. C’était un bleu terriblement beau. Et le son de battements d’ailes… et la chanson. Je ne pourrais pas dire si c’était la voix d’une femme ou celle d’un homme. C’était une voix étrange. Elle résonnait comme le vent. Je pense qu’elle résonnait comme le vent qui traverse les prairies, comme le vent qui rampe sur le sol, comme le vent qui soufflerait depuis les cieux. Je… Je reste toujours figé sur place et… j’écoute cette chanson…
Une chanson du vent qui soufflerait depuis les cieux, qui ramperait sur le sol.
Peut-être que…
Est-ce que c’est une chanson consacrée ?demanda Shion.
C’était presque de l’instinct. Une pensée qui lui était venue à l’esprit et qui s’était transformée en mots, et les mots avaient glissé de ses lèvres.
Une chanson consacrée à Elyurias… Afin de la glorifier, ou bien une chanson pour l’apaiser… est-ce que je me trompe ?
La poitrine du vieil homme se gonfla et se dégonfla. Il sembla prendre plusieurs profondes inspirations.
Était-il énervé ? Était-il embrouillé ?
Sasori. appela le vieil homme. L’homme couleur de sable apparu comme s’il jaillissait de l’obscurité.
Tu donneras à ces deux-là de la nourriture et un endroit où se reposer.
Rô…
Leur repos ne sera pas long, mais…ce sera mieux que rien. Rassemble et donne autant que possible ce qu’ils souhaiteront.
Pourquoi ?cria Sasori.
Pourquoi les aider ? Nezumi a quitté cet endroit. Il est parti à l’extérieur et a juré de ne jamais revenir. Ne lui aviez-vous pas interdit de revenir ?
Oui, c’est juste.
Mais il est revenu. Et en plus, il a ramené un démon avec lui. Rô, ne le voyez-vous pas ? Ce type est un démon. Il apporte la calamité et la destruction. s’exclama Sasori en pointant du doigt Shion.
Avez-vous vu ses yeux tout à l’heure ? C’était assurément les yeux d’un démon. Des yeux de ténèbres. Nezumi est manipulé par ce démon.
C’est quoi votre problème ! dit Shion, ressentant un véritable malaise.
Depuis tout à l’heure, vous répétez la même chose. Je n’ai fait que vous fixer un petit peu et vous voulez me faire passez pour un démon. C’est d’une imp…
Sasori secoua la tête et interrompit les paroles de Shion. Son visage était tordu comme si le moindre de ses mots était une malédiction.
Les démons sont ainsi. Rô, ça va pour Nezumi. Si vous me l’ordonnez, j’obéirais. Je lui donnerais du repos et de la nourriture. Cependant, je ne le ferais pas pour lui. Si on ne le tue pas maintenant, tôt ou tard, il nous causera des ennuis. Il pourrait complétement nous détruire.
Sasori. dit Nezumi en se levant.
Parfois les poisons et les médicaments sont produits à partir de la même plante médicinale. Parfois, on ne sait pas si ce sera du poison ou du médicament, jusqu’à ce qu’on le prenne. N’est-ce pas ?
Où veux-tu en venir ?
Que Shion soit démoniaque ou ne le soit pas, il n’est pas nécessaire de le découvrir. Sa véritable nature, je n’en n’ai rien à faire. Dans tous les cas, maintenant, j’ai besoin de lui vivant. C’est tout ce que tu as à savoir.
Pourquoi ?
 Les doigts de Nezumi ébouriffèrent les cheveux de Shion.
A l’intérieur de sa tête, Sasori, se trouve les informations de la structure interne de la Maison de redressement. De la meilleure qualité qui soit. Sans doute, aussi précises que celles d’un ordinateur. Sans ces informations, la destruction de la Maison de redressement devient impossible.
La destruction de la Maison de redressement…
 De la stupéfaction parcourut le visage de Sasori. Cela ne dura qu’un instant, mais cela redonna une figure humaine à l’homme couleur de sable. Cet homme montrait la même réaction que Rigiga et Inukashi aux mots de Nezumi. Ah, je vois, comprit Shion.
 Sa peau et ses cheveux étaient d’une couleur inhabituelle, mais c’était la seule différence. Il était fait de chair et de sang, et son corps dégageait de la chaleur. Lorsqu’il était blessé, il souffrait. Il avait des émotions et de l’intelligence. C’était un être humain comme lui. La couleur de sa peau et de ses cheveux n’était qu’une différence insignifiante.
Tu… ne penses pas sérieusement faire une telle chose ?
J’y pense. C’est probablement la seule chose à laquelle je pense. La Maison de redressement n’est pas seulement une prison[9]. Elle abrite aussi un centre de recherche qui est relié à l’âme de N°6. Si nous le détruisons, cela créera une fêlure dans N°6… sans aucun doute. Je prendrai appui sur cette fêlure et j’enterrerais complètement cette ville. Pour cela, j’ai absolument besoin de Shion. Je te l’ai dit tout à l’heure, je ne te laisserais pas le tuer si facilement, Sasori.
 Le vieil homme ouvrit la bouche avant que Sasori n’en ait eu le temps.
Il se peut qu’il y ait déjà une fêlure.
Quoi ?! Qu’est-ce que vous voulez dire ? s’exlama Nezumi.
Il est possible que N°6 s’effondre avant que tu ne lui portes un coup, à cause d’Elyurias… C’est ce que je veux dire.
Rô ! Parlez de manière à ce que je comprenne ! Vous n’avez pas encore clarifié une seule chose.
Nezumi… C’est le destin qui t’a fait revenir ici, avec Shion. Il se peut que tout ait été décidé à l’avance.
Le destin ? Qui pourrait décider de la manière dont je vis ? Est-ce que vous avez une preuve ? Jamais je ne me soumettrais à des mots de pacotille comme Dieu ou destinée. Rô, cela suffit ! Finit de jouer avec les mots. Arrêtez cette façon de parler de manière significative, et répondez à mes questions. Vous avez pris part à la naissance de N°6.
Oui.
De quelle manière ?
Assied-toi. Toi aussi, Shion. Mettez-vous à l’aise. Nous allons vous donner de l’eau. Vous devez être assoiffés.
Avant même que le vieillard n’ait finit de parler, des bols un peu plus grands que le précédent leur furent tendus. Ils étaient remplis avec de l’eau clair.
Une violente soif repris Shion.
Il désirait de l’eau depuis longtemps. Il avait l’impression que toute l’eau de de son corps avait été extraite par les nombreuses expériences qu’il avait surmonter depuis son arrivée ici. Il était tellement assoiffé que les muqueuses de sa gorge lui faisaient mal. Lorsque Shion avait donné de l’eau à Nezumi, il n’avait pas du tout pensé à sa propre envie de boire. Il avait oublié sa propre soif. Comme en réaction à cela, une soif brûlante l’attaquait.
De l’eau…
Il tint le bol des deux mains et bu goulument. L’eau était froide. Elle était froide et délicieuse. Elle ressemblait à l’eau de cette fois-là ; elle ressemblait bien à l’eau que Nezumi lui avait donné de nombreuse fois, pendant qu’il se battait avec la guêpe ; à celle qui coulait près des ruines où vivait Inukashi. Elle le pénétra délicieusement.
Shion vida le bol d’un trait. De l’eau lui fut à nouveau servie dans le bol vide. Il en fut si reconnaissant qu’il eut envie de pleurer.
Elle est délicieuse, n’est-ce pas ?
 Shion ne put qu’acquiescer à la question de Nezumi. L’eau était si délicieuse qu’il ne pouvait répondre.
Il y a un lac souterrain ici. L’eau contient beaucoup de minéraux. Quoi qu’il en soit… tu avais sacrément soif.
Shion vida plusieurs bols d’eau et pris une profonde inspiration. Attendant cela, le vieil homme ouvrit la bouche.
Cela va prendre un peu de temps. J’avais l’intention de ne jamais en parler à personne aussi longtemps que je vivrais… mais je dois le révéler. Cependant, avant cela… Nezumi ?
 Nezumi leva le menton.
Il y a un chemin menant à la Maison de redressement. Cependant, il s’arrête à mi-parcours. Ils ont construit une porte pour l’interrompre. Une porte qui n’a pas été ouverte depuis des dizaines d’années.
Je sais.
Si vous ne l’ouvrez pas, vous ne pourrez pas vous introduire dans la Maison de redressement. Cela aussi, tu le sais ?
Bien sûr.
Il est impossible de l’ouvrir depuis ce côté-ci. Ou bien qu’elle s’ouvre du côté de la Maison de redressement. Cela n’arrivera jamais.
En ce qui concerne la porte…
Un fin sourire étira les lèvres de Nezumi.
Je ne vais pas attendre qu’elle s’ouvre gentiment d’elle-même. Je vais l’ouvrir par la force.
Tu as une méthode pour le faire ?
Oui.
Je ne pensais pas un instant que tu agirais ainsi sans prendre de mesures, mais… cette porte, même s’il y a un moyen de l’ouvrir, je ne le vois pas.
Shion.
 Nezumi s’accroupit et saisit l’épaule de Shion. La souris sauta au sol avec précipitation.
La porte dont nous parlons, c’est le seul point qui relie la partie supérieure de la Maison de redressement avec l’espace vide de sa partie inférieure. Tu sais où, Shion ? 」
Oui.
 A l’intérieur de sa tête apparu un plan.
C’était l’intérieur de la Maison de redressement que Nezumi lui avait ordonné d’apprendre comme si sa vie en dépendait.
C’est la position P01-Z22. Il y est inscrit un X du côté de la Maison de redressement.
Tu te souviens aussi du circuit d’énergie qui mène à ce point X ?
Oui. C’est un simple circuit, d’un ancien modèle. Aucun circuit de secours n’a été installé.
Une porte non ouvrable n’a pas besoin d’un système élaboré de sécurité. L’efficacité est primordiale, tout ce qui est superflu est éliminé. Que ce soit les hommes ou les équipements. ricana Nezumi. C’est ce que pense ces types. Pourtant, c’est là que l’on peut tromper leur garde.
 Nezumi fit claquer ses doigts.
Une porte non ouvrable qui s’ouvre. Nous la forcerons à s’ouvrir. Rô, c’est notre combat. Vous n’avez pas à vous préoccuper.
Vous allez mourir.
Nous allons mourir ?
Beaucoup de gens vont mourir. Sans aucun doute beaucoup plus de personne que ce que vous pouvez imaginer. Peut-être êtes-vous les seuls à pouvoir arrêter cela. Nezumi, c’est votre destinée. Vous étiez destinés à vous rencontrer, destinés à venir ici. J’étais destiné à rencontrer Elyurias. Mais avant, commençons à partir de cette histoire. Ecoutez-moi. Et dépêchez-vous. Si vous ne vous pressez pas, il pourrait être trop tard. Si vous ne vous pressez pas…
Le vieil homme débuta son histoire.
C’était le récit de N°6.
Shion et Nezumi se blottirent l’un contre l’autre et tendirent l’oreille, comme deux petits enfants écoutant leur grand-père raconter l’histoire de son passé.
C’était le récit de N°6.
Un récit de destruction et de création.






[1] Traduction difficile. J’espère avoir réussi à en comprendre le sens principal.
[2] Safu est l’amie d’enfance de Shion. Il s’est infiltré dans la Maison de redressement pour la sauver.
[3] Shion avait enlevé sa chemise dans le chapitre un pour montrer sa cicatrice à Rô.
[4] Nezumi parle ici de Rikiga qui a donné cette photo à Shion dans un précédent volume lors de leur rencontre.
[5] C’est la maman de Shion.
[6] Ici, j’ai préféré mettre le sens du kanji Rô pour bien montrer le malaise de Shion aux informations qu’il apprend.
[7] C’est l’équivalent japonais de nos séries télévisées.
[8] La phrase ne précise pas si c’est l’aube ou le crépuscule. J’ai choisi l’aurore.
[9] Ici, j’ai choisi de traduire le terme shûyô par prison, mais on peut aussi le traduire par camp, asile, centre d’hébergement.

Commentaires

  1. Trop bien ce chapitre !
    On commence à en apprendre plus sur le plan des garçons et la chanson est trop belle !

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