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N°6 - Tome 6, Chapitre 1 complet

Qu’es-tu capable de voir, toi, Shion ?

Chapitre 1 – Il vaut mieux ne rien savoir[1]
Connaître ce que j’ai fait ! Mieux vaudrait ne plus me connaître moi-même. Eveille Duncan à force de frapper. Plût au ciel vraiment que tu le pusses !
(Macbeth Acte 2 Scène 2 Traducteur Fukuda Kôson Editions Shinchô Bunkô)

 On pouvait entendre le bruit du vent.
 C’était un son triste et sec.
 Impossible……
 Shion s’arrêta, et essaya lentement de cligner des yeux. Sombre. L’obscurité, même pour ses yeux qui s’y était habitué, ne reflétait que les ténèbres, tout n’était que noirceur. Evidemment, le vent ne soufflait pas.
 Ici, dans les profondeurs de la terre.
 Pour être précis, c’était un lieu de ténèbres que possédait la cité sainte N°6. C’était les sous-sols de la maison de redressement. Il était impossible que le vent y souffle. Il était impossible d’entendre le son du vent. Malgré cela, il avait entendu le son du vent qui sifflait. Cela avait été momentané, mais il était certain de l’avoir entendu.
 Ce n’était pas le bruit du vent qu’il avait entendu quand, auparavant, il vivait à l’intérieur de N°6. Ce n’était pas le vent qui agitait les branches des arbres devenues épaisses dans l’abondance, ni celui qui transportait le doux parfum des fleurs. C’était……
 C’était le vent des ruines.
 Dans un recoin du Bloc ouest se trouvait les restes d’un hôtel dévasté. C’était le cri du vent qui soufflait à travers ces ruines.
 C’était un vent froid. Un vent qui chaque fois lorsqu’il soufflait vous donnait le sentiment d’être geler jusqu’à la moelle des os. Effectivement, les enfants affamés qui perdaient leur force physique et les personnes âgées qui s’effondraient dans les rues, exposés à ce vent glacial, mourraient gelés. C’était un vent hivernal impitoyable qui ne pardonnait pas.
 Shion en avait la nostalgie.
 Au lieu de la douce brise de N°6 qui ne faisait aucun mal, c’était le vent glacial qui soufflait dans les ruines qui lui manquait doublement.
 Qu’est-ce que Inukashi[2] était en train de faire ? Faisait-il mijoter les restes de nourriture dans sa grosse marmite, préparant assidument les aliments pour ses chiens ?
 Aujourd’hui, était-il occupé à compter l’argent qu’il avait récolté ? Inukashi, avec son corps décharné, ses cheveux d’un noir de jais et sa peau brune.
 Shion lui avait laissé le bébé. Il lui avait imposé ce petit garçon contre son gré.
 「Shion, c’est assez ! Je gère un hôtel ! Il est impossible d’ouvrir un orphelinat de charité.avait-il dit d’un air dégoutté[3].
 Pardon, Inukashi. Je ne pouvais me reposer que sur toi. Il n’y avait pas d’autre moyen que d’avoir recours à toi.
 Inukashi fera claquer sa langue.
 Il dira : Tu es un type ennuyeux à bien des égards ! Compris, je le garde. Même moi, j’ai un peu de miséricorde dans le cœur. Alors j’aurais juste la charité de ne pas le donner à manger aux chiens. Je n’y peux rien. Mes chiens m’ont protégé avec acharnement lorsque j’étais bébé. Je ne peux pas le jeter dehors…… Moi aussi, je suis vraiment gentil. Je finirais par me détester sinon.
 Inukashi, je te remercie.
Je suis heureux aussi de ta gratitude. Il n’y a rien à y gagner, n’est-ce pas ? Shion, je garde le bébé.
Je ne fais que le garder. Viens sans faute le récupérer. C’est toi qui l’as ramassé. Elève-le. Parce que tu assumes parfaitement tes responsabilités. C’est bien, tu viendras le chercher……
Shion.Nezumi s’était retourné et l’avait appelé. Il vit clairement ses prunelles grises brillées. Même dans une telle obscurité, les prunelles de Nezumi absorbaient la lumière et rayonnaient. Ou bien……, songeait Shion.
 Ou bien, même si par exemple il n’y avait pas de lumière, s’il n’y avait même pas une seule lueur dans l’obscurité, je pourrais encore percevoir ses yeux ?
Ne t’arrête pas. Tu marches juste derrière moi.
Ah…oui. Pardon, je rêvassais.
Tu rêvassais ?
J’ai eu l’impression d’entendre le son du vent. Le son du vent qui souffle à travers les ruines d’Inukashi… Je sais que j’ai dû mal entendre… Dis, Nezumi ?
Oui ?
Inukashi, maintenant, que fait-il ?
 Nezumi cligna des yeux. Et puis, il inspira.
Toi, tu es vraiment quelque chose.
Hein ?
Tu arrives à rêvasser dans de telles conditions, et ce n’est pas tout. Tu es quelqu’un qui devient distrait quand il y a trop de tensions. Je ne mentionne même pas le fait que tu as entendu le bruit du vent, puis vient le prodige de penser sans souci à une autre personne. Tu es si génial que tu te classes au rang divin ! Dorénavant chaque jour, je te prierais matin et soir.
Du sarcasme ?
Impossible. Etre sarcastique en face d’un dieu, je n’en ai pas le courage. Je t’admire réellement. Cependant…
 Nezumi agrippa le bras de Shion.
 Douleur.
 Ses doigts s’enfoncèrent dans sa chair.
 Au premier abord, on ne soupçonnerait pas toute la force contenue dans les doigts de Nezumi qui apparaissaient fragiles, il le savait bien. Combien de fois lui avait-il agrippé le bras ainsi ? Et la douleur le faisait grimacer. Combien de fois lui avait-il agrippé le bras et soulevé de force ? Bien des fois, c’était incalculable… De la mort vers la vie, du désespoir vers l’espoir, de la fiction vers la réalité, grâce à ses doigts, il avait réussi à s’en sortir.
A partir d’ici, soit un peu plus sur tes gardes. On s’en fiche de ce que fait Inukashi. Pense seulement à te protéger toi.
Compris.
Vraiment… Tu as compris ?
J’ai compris, probablement.
Probablement, hein ? Ton probablementincertain, laisse-le tomber.
 Soudainement, Nezumi rit. Un petit rire, mais c’était un éclat de rire léger et irrésistible.
Dans un endroit pareil, à un moment pareil, avoir une telle discussion. Pour moi aussi, c’est le comble de l’insouciance. Quand je suis avec toi, j’ai l’impression que même moi, je peux devenir un dieu.
 Puis, son ton changea du tout au tout. Il devint acéré.
 La force dans ses doigts augmenta encore.
Quoi qu’il se passe, ne t’éloigne pas de moi. Mets-y toute ta force. Je te l’ai déjà dit avant. Je ne le dirais pas une seconde fois.
 Shion acquiesça.
 Nezumi pu-t-il voir Shion hocher la tête légèrement ou le sentit-il ? Car il lui tourna le dos et se mit à nouveau à marcher. Ce dos ne se retournerait plus vers lui aussi facilement. Cela aussi, Shion le savait bien.
 Si Nezumi n’était pas si désespéré de vivre, s’il ne se cramponnait pas avec avidité à la vie, il se retournerait vers lui. Nezumi ne respecterait jamais un dieu insensible avec nonchalance.
 Shion pris une grande inspiration et s’avança dans les ténèbres qui l’avalèrent.

Le petit chemin les mena à une crevasse faite de roche qui montait légèrement. Elle était juste assez large pour laisser passer une personne de taille adulte. Elle avait été affermie avec du béton et des lampes étaient disposées à intervalle régulier le long du passage qui était toujours étroit. La partie tortueuse du trajet n’était pas très longue, mais il était difficile d’y marcher.
 Pourtant…, Pourtant Shion essuya la sueur qui ruisselait de son front avec le dos de sa main.
 Pourtant ici, il n’y avait pas l’odeur du sang.
 Il n’y avait pas la puanteur du sang qui emplissait l’autre passage[4]. Il n’y avait pas les cris et les gémissements de dizaines de personnes se faisant tuer, en train de mourir. Il n’y avait que les ténèbres.
 Même si cela n’avait duré qu’un court moment, même si jusqu’à maintenant Shion était dans l’attente d’une vérité qui dépassait de très loin l’imagination, comme ce fut le cas dans les ténèbres précédentes. Quoi qu’il en soit, il n’avait pas senti la puanteur d’êtres humains en train de se faire tuer impitoyablement et irrationnellement.
 Il en était reconnaissant. C’était comme être reconnaissant de tomber par chance sur une oasis en plein désert.
 C’était être naïf.
 Shion se mâchouilla la lèvre inférieure.
 Il ne le dirait pas à Nezumi. Il était trop naïf.
 C’est juste qu’il n’y avait pas d’odeur. C’est juste qu’il n’entendait rien. Il était possible qu’ils soient juste séparés par un mur, et qu’il ne fût pas capable de voir ces gens.
 Cela avait eu lieu juste à côté de lui.
 La vérité était que l’endroit où se tenait désormais Shion se trouvait attenant du lieu où des êtres humains, des dizaines d’êtres humains, incluant un nouveau-né, avaient été tué impitoyablement et irrationnellement. Ce moment aussi avait bien eu lieu.
 Uniquement parce qu’il ne sentait rien, uniquement parce qu’il n’entendait rien, uniquement parce qu’il ne voyait rien ne signifiait pas que cela n’existait plus. Le désert ne disparaît pas uniquement parce qu’on arrive finalement dans une oasis.
 Il était naïf. Peu importe que cela soit complètement dissimulé. Il devait oublier la rage ressentie durant ce moment où il était témoin de ces atrocités. Il aurait souhaité pouvoir détourner les yeux de ces faits inhumains, ne vouloir que se blottir et confier son corps à un sommeil profond et agréable ne sachant rien de ces atrocités.
 Il était naïf. Et il était faible.
 Il longea le mur avec sa main et suivit Nezumi avec empressement.
 Dans tous les cas, en ce moment il le suivait. Non…, tout ce que j’ai toujours fait, c’est de le suivre.
 Dans le Bloc ouest, pour la première fois il avait marché dans la nuit noire. Il avait couru aussi[5]. S’il n’avait pas fait ces expériences, il lui serait totalement impossible de marcher dans l’obscurité, comme si ses globes oculaires allaient être écrasés par la pression.
 En ce sens, il était devenu un peu plus robuste.
 Il s’en persuadait. Ai confiance. Tu accumules des forces à ta manière. Ai confiance en toi.
 Le fait de tomber dans le dégoût de soi-même, le fait de se plonger dans un sentiment d’échec, il le ferait volontiers, mais cela n’avait pas de sens.
 La force de croire en soi-même. Se nourrir de cette force, en faire une arme et surmonter toutes ces difficultés.
 Shion concentra son esprit sur ses pieds, un pas, puis un autre et il avança.
 Il rencontra les lampes. C’était un éclairage faible. Les lampes éclairaient vaguement le passage devant lui.
 La silhouette de Nezumi se glissait dans cette faible lumière. Shion accéléra l’allure.
Ah……
 Shion retint son souffle.
 Il venait de sortir dans un espace ouvert. Par rapport au lieu où Nezumi s’était battu avec l’homme couleur de sable il y a un moment, cet endroit était assez vaste. Le plafond aussi était haut. Il semblait avoir la hauteur d’un bâtiment d’environ trois étages. La roche, tout autour d’eux, était pleine d’aspérités.
 Originellement, cet endroit était une gigantesque caverne d’une structure complexe. Nezumi le lui avait appris. Si c’était le cas, alors elle s’était développée naturellement. Çà et là, la paroi rocheuse était éclairée par des chandelles. Il n’y avait pas que des chandelles, mais aussi la lumière des lampes qui scintillait. Elles brillaient toutes faiblement, mais d’une lumière chaleureuse. Et belle aussi. Elles fleurissaient sur la paroi rocheuse comme des petites fleurs écarlates.
 La paroi rocheuse ?
 Shion y fixa son regard. Son souffle s’emballa et il fixa la paroi avec attention. Il retint son souffle. 
 Des ombres bougeaient.
 Une, deux, trois, quatre ombres…… Ce n’était pas des souris. Ce n’était pas de si petites créatures vivantes. Il y avait un grand nombre d’ombres qui se mouvaient. Elles se tenaient sur deux jambes et chuchotaient il ne savait quoi. Se tenant sur deux jambes et chuchotant……
 Des êtres humains !
 Il avala une grande goulée d’air. Son cœur battit de plus en plus fort.
 Des êtres humains, il y avait des êtres humains. Ils les regardaient à la dérobée çà et là depuis la paroi rocheuse. Des êtres humains.
 De plus, lorsque Shion regardait avec attention, derrière les chandelles allumées de la paroi, s’ouvraient des cavités assez grandes. Donc, de surcroit, à l’intérieur de la caverne, il y avait de plus petites grottes. A partir de ces espaces, il semblait que des gens sortaient en rampant.
 Shion n’arrivait pas à saisir des formes individuelles, il arrivait tant bien que mal à discerner les différences de taille ou l’aspect des corps.
 Il y avait tant des hommes que des femmes, tant des adultes que des enfants. Ils se penchaient de la même manière pour regarder vers Shion et Nezumi. S’ils continuaient de les regarder fixement, il aurait l’impression que les yeux de chacun lançaient une faible lumière.
Nezumi, ces gens……
Qu’est-ce que tu en penses ?
Ah… Des survivants ? Des personnes, qui comme nous, ont pu fuir de justesse le lieu d’exécution.
C’est autre chose.
 Nezumi secoua la tête. Ce geste lent ne lui ressemblait pas.
Ces gens vivent ici depuis toujours
Depuis toujours… Qu’est-ce que tu veux dire ?
Maintenant, tu comprends.
 Maintenant, je comprends. Je vois… C’est vrai.
 Maintenant, tu comprends. Si tu n’avais pas la volonté et la force en toi.
 Shion serra les poings.
 Demander c’est facile. Demander était tout ce qu’il avait fait. Avant de décoder lui-même la vérité qui apparaissait devant ses yeux, Shion pouvait avoir facilement une réponse correcte de la part de Nezumi.
 Il ne le pouvait plus.
 Il chercherait les réponses par lui-même, les attraperait et les décoderait. Même si en comparaison de Nezumi, il était un amateur. S’il se contentait des mots d’un amateur, il ne parviendrait pas à capturer la vérité. Il ne pouvait pas faire face à une réalité qui dépassait l’imagination. Il ne pouvait pas être sur un pied d’égalité avec Nezumi.
 Il capturerait la vérité lui-même.
 Nezumi détourna les yeux de Shion. Ses prunelles grises s’assombrirent. Il cligna des yeux une fois, et quand l’ombre se dissipa, il déplaça doucement une main sur le côté. C’était un mouvement gracieux propre à Nezumi.
Regarde, n’est-ce pas magnifique ? Ils sont venus tous ensemble pour nous accueillir.
Même ici, tu es célèbres !
…… Idiot, Shion, c’est toi qu’ils sont venus accueillir.
Moi ?
Tu es un spécimen rare. Parce qu’il est sans précédent qu’un être humain de l’extérieur fasse irruption ici. Qui plus est un habitant de N°6.
Ex-habitant. Maintenant, c’est différent. J’ai jeté il y a longtemps ma carte d’identification de N°6. Je ne suis plus un citoyen de la cité sainte.
N’en fait pas tout un plat. Ce n’est qu’une façon de parler sans importance, n’est-ce pas ?
J’en fais tout un plat. Et ce n’est pas sans importance. Je ne suis pas aussi faible que tu le penses. Il est hors de question que je sois le captif de N°6.
 Il faisait peut-être un peu le brave, toutefois, Shion essaya de bomber le torse autant que possible.
 Je suis faible. Mentalement et physiquement, je suis trop fragile. Cependant, ma détermination n’est pas ébranlée. Je n’ai pas de doutes.
Ma résolution à vivre à l’extérieur plutôt qu’à l’intérieur de la cité sainte et mon désir de vivre avec Nezumi n’ont pas vacillé, je n’ai jamais douté.
Tu es faible ? Qui a dit ça ?
C’est ce que tu dis toujours !
N’importe quoi ! Tu es le plus fort. Ne t’ai-je pas dit que je t’admirais tout à l’heure. Car tu es remarquable… Maintenant, j’ai encore plus d’admiration pour toi. Réellement !
Nezumi haussa les épaules et continua :
Vraiment, dans une telle situation, je ne m’attendais pas à ce que tu cherches la petite bête avec autant de répondant.
 Cri-Cri, cri-cri, cri-cri.
Un rat grimpa sur le corps de Shion et s’assit sur son épaule. En comparaison avec Hamlet et Cravate[6], il était assez lourd. Et il puait fortement. Mais la manière dont il remuait son museau et penchait la tête était semblable. Un second rat grimpa sur son autre épaule. Celui-ci plongea sa tête dans ses cheveux blancs et la remua verticalement afin de la frotter contre la joue de Shion. Encore un autre, un bébé rat cette fois, se blottit contre ses pieds. Puis un autre, et encore un autre.
 Les rats grimpaient et descendaient du corps de Shion, couinant doucement afin d’avoir des caresses.
 Cri-Cri, cri-cri, cri-cri, kikikikiki.
Chi-chi-chi, chi-chi-chi.
Eh, calmez-vous ! Je ne suis pas un toboggan. Arrêtez, ça chatouille !
 Shion secoua son corps.
 L’atmosphère changea brutalement.
L’obscurité frémit. Le son d’une respiration, un chuchotement inaudible, un léger mouvement, un clignement… la présence des habitants des rochers.
Quel enfant intéressant.dit une voix au-dessus de leur tête. C’était une voix grave, mais bien timbrée. Elle sonnait agréablement à l’oreille, mais pas autant que le chant de Nezumi. Était-ce la même voix que tout à l’heure ? La voix descendait dans l’air chargé de noirceur.
Ecoutons leur histoire.Ces mots provenaient-ils de la même voix ?
Shion regarda en l’air.
 Il y avait un homme assis sur un siège sur un balcon qui faisait sailli au centre de la paroi rocheuse.
C’était… un homme, pensa-t-il. Il pouvait voir une personne âgée qui portait comme une sorte de longue robe blanche, sa chevelure et sa barbe étaient longs et blancs. C’était mal éclairé, et il ne distinguait pas clairement son visage.
Quel enfant intéressant. Tu n’éprouves ni hostilité ni prudence envers les rats. Nous nous demandons quel est ton nom. Comment t’appelles-tu ?
Je m’appelle Shion.
Shion… Oh, quel beau nom.
Ah… Merci beaucoup. Pour avoir complimenté mon prénom. Euh, et vous ?
Moi ? Que veux-tu savoir sur moi ?
Comment est-ce que vous vous appelez ?
 Les gens autour se mirent à parler.
L’obscurité frémit violemment. Sur les épaules de Shion, les rats couinèrent. Des rires fusèrent. De tous les côtés sur la paroi rocheuse, différents rires éclatèrent et tombèrent sur Shion.
Ha, ha, ha.
 Son nom, il a dit !
Ha, ha, ha.
Il lui a demandé son nom !
Ha, ha, ha. Ha, ha, ha. Ha, ha, ha. Ha, ha, ha.
Shion ne comprenait pas pourquoi ils riaient. Il lui avait juste demandé son nom. Cela l’exposait-il à ce point à la risée du public ?
Ha, ha, ha. Ha, ha, ha.
 Les rires ne s’arrêtaient pas.
 Shion tourna la tête vers Nezumi qui se tenait à côté de lui.
Nezumi se tenait immobile. Bien sûr, il ne riait pas. Son visage n’exprimait aucune émotion. Comme une statue.
[7].dit la voix profonde transperçant les vagues de rire. Les bruits dans la caverne cessèrent d’un coup. Brusquement, le silence se fit comme le vent tombant soudain dans une forêt. Dans le silence, les mots de l’ancien se propagèrent doucement.
Rô. On m’appelle ainsi.
On vous appelle Rô…
Qui sait ? C’est peut-être seulement parce que je suis âgé.
Ce n’est pas votre vrai nom ?
Il y eu plusieurs secondes de silence.
La jeunesse ! Ici, nous ne sommes pas obsédés par les noms. Personne… Nezumi ne te l’a pas dit ?
 Maintenant qu’il y pensait.
 Shion exhala.
Maintenant que j’y pense, je ne connais pas encore le vrai nom de Nezumi.
Rô.
Nezumi bougea et fit un pas en avant.
Nous voulons que  vous nous écoutiez.
Je vous écoute.
 Le vieillard s’étira le dos, assis sur son siège.
Toi, tu es revenu ici. Je pensais ne jamais te revoir, mais tu apparais une nouvelle fois devant moi. Je veux en savoir la raison.
Je vous remercie.
Tu me remercies ? Nezumi, tu as été exposé un certain temps au vent de l’extérieur et il semblerait que tu te sois beaucoup affaibli. Cependant, je ne peux pas dire à quel point. Non, ce n’est pas possible, aurais-tu oublié nos lois ?
Bien sûr que non.
Ceux qui ont quitté cet endroit ont l’interdiction de revenir. Tu as brisé cet interdit. Il te faudra expier cette faute.
Je sais. Je subirais ma peine. C’est pourquoi, écoute-nous.
 Le vieillard claqua des doigts.
Shion ne l’avait pas remarqué, mais aux pieds du siège étaient fixés deux longues barres. Plutôt qu’un siège, c’était plus une sorte de palanquin.
Deux hommes se saisirent des barres et soulevèrent le palanquin ainsi que le vieillard.
Ses jambes ?
Au bas de la robe que portait le vieillard, il n’y avait pas de renflement. Le vêtement ne faisait que pendre. Le vieillard n’avait plus de jambe en-dessous des genoux. Aux deux jambes.
Le palanquin qui le transportait, comme si le mur n’était rien, commença à descendre la paroi rocheuse. Devant le palanquin, une ombre humaine, dont les longs cheveux étaient noués ensemble et avait les contours du corps d’une femme, balançait un outil qui ressemblait à un balai devant le palanquin. Cela ressemblait à un tsuyuharai[8].
Le chemin était juste assez large pour que deux personnes se croisent. Alors qu’il se faisait pentu, les hommes marchaient sans que leur allure n’en soit perturbée.
Le chemin ne devait pas être naturel. Ce sentier fait par la main de l’homme avait été creusé dans la paroi rocheuse. Si c’était bien confirmé, le chemin avait été mis en place dans la paroi et les gens pouvaient aller et venir librement dans sa structure.
C’était… une ville, n’est-ce pas ?
Shion regarda à nouveau tout autour de lui, en songeant à tout cela en même temps.
Les habitations étaient des grottes de taille variée ; il y avait un chemin dans la paroi rocheuse ; cette place semblait en plus s’étendre profondément dans le noir ; et il pouvait aussi sentir quelques odeurs de cuisine. Faiblement, mais vraiment faiblement, Shion pouvait sentir aussi le vent. Le fait que l’air pouvait circuler, signifiait-il que cet endroit se rattachait à la surface ?... Ici, c’était une ville où vivaient des gens.
Dans le sous-sol, il y avait une ville ?
Shion mis en ordre ses pensées qui étaient comme des pièces de puzzle. En bref, il chercha la logique.
Nezumi avait dit que les gens qui avaient survécu à la chasse à l’homme étaient différents de ceux qui vivaient dans ces ténèbres. C’était cela. Dans un monde souterrain où la lumière du soleil ne parvenait pas, il devait y avoir de très rudes conditions pour que des gens y vivent. L’Etre humain, originellement, est un être vivant crée afin de s’adapter à la vie à la surface. Je ne pensais pas qu’il pouvait rester en vie dans un endroit où il n’y a presque pas variation d’air pur et de lumière du soleil. Cependant, il y a bien des gens devant moi, et les traces des personnes qui vivent ici.
Le spectacle devant mes yeux n’a pas été accompli en une journée. Cela, je le comprends bien. Cela a dû prendre beaucoup, beaucoup de temps pour ces gens qui vivent sous la terre de bâtir une ville et de s’y adapter peu à peu. Je ne peux pas l’imaginer.
Shion, sans le vouloir, laissa échapper un profond soupir.
Cet endroit, où se trouve-t-il ? N’est-ce pas le sous-sol de la Maison de redressement ? Pourquoi, à cet endroit précis, avoir construit une telle ville ? Est-ce une coïncidence ?
Peut-être que…..
Dans la tête de Shion, ses pensées s’opposaient violement. Il avait beau y réfléchir encore et encore, il ne saisissait pas. Peut-être qu’il n’avançait pas dans sa conjecture. Toutefois, c’est pour cette raison qu’il y pensait. Il spéculait. Peut-être qu’il devait formuler son hypothèse. Il était désespéré.
Peut-être que dans cet endroit qui était originairement une gigantesque caverne, il y avait des gens qui y vivaient depuis longtemps.
Des autochtones……
 Il y avait peut-être des gens qui vivaient sur ces terres longtemps avant que ne soit née la cité-état appelée N°6.
 Comme pour le Bloc ouest, qui était autrefois une petite, mais belle ville.
 D’après Rikiga[9], au début, des gens très variés y vivaient. Il y avait aussi maman. Il devait aussi y avoir mon père dont je ne me rappelle pas le visage. La ville, au bout d’un certain temps, avait changé d’apparence et était devenue la base pour la naissance de N°6. Non, ce n’est pas la ville qui avait changé, ce sont les gens. D’après les gens, la gigantesque cité-état est née avec des murailles faites d’un alliage particulier. A l’extérieur des murailles, une partie délabrée des restes de la ville devint le Bloc ouest. Pourtant, ce n’était que le côté ouest.
Est-ce que N°6 n’a détruit que la ville ouest ? Les montagnes au nord, la forêt, les prairies qui s’étendent depuis le sud vers l’est, les lacs et les marais qui sont dispersés entre l’est et l’ouest… Quand je réfléchis à l’étendue de N°6, il convient de penser que l’expansion s’est accrue dans la direction des quatre points cardinaux…
Des frissons remontèrent le long du dos de Shion.
Les montagnes du nord, les prairies du sud, les terres humides de l’est. Des populations tribales que Shion ne connaissait pas vivaient quelque part par là. Il n’y en avait pas qu’une. Dans les montagnes, dans la forêt et dans les prairies, dans chacun de ces endroits vivaient des gens, menant leur vie. Dans cette caverne aussi……
Les populations tribales. Ces gens avait élu domicile dans cette caverne depuis très longtemps.
 Dans la ville où Rikiga et ma maman ont habité, les gens vivaient dans un monde de nature différente… Probablement que la population de la villen’avait presque aucun contact avec eux, et qu’elle avait ainsi envahit chacun des territoires isolés. Peut-être que la méconnaissance était mutuelle.
 Originellement, cet endroit était une vaste zone forestière. Sur cette planète, les terres qui possédaient les conditions nécessaires à la survie de l’espèce humaine étaient à peine si Dans chacune de ces régions, les gens avaient bâtit des villes. Ces villes s’étaient finalement changé chacune en cités-état. Dans les préceptes de l’histoire du passé, les hommes ont aboli les conflits transnationaux, et n’ont conservé aucune force armée. Dès le début de l’entente, le minimum des conditions pour la perpétuation de l’espèce humaine, en ligne avec le traité de Baibaron, avait été de fixer la renonciation à toute intervention armée et forces militaires. Les villes avaient jeté leurs noms propres, et leur appellation était devenue de simples numéros[10]. Du N°1 jusqu’au N°6.
Chacune des 6 villes, en respectant les particularités et une indépendance réciproque, avait maintenu un lien intime, et les gouvernants, un par un avec compréhension en étaient arrivé bien sûr à devenir citoyens d’un seul pays. Dans tous les cas, elles s’étaient entendues dans le désir de le devenir[11].
Pour nous, il ne restait déjà plus que cette région. Les destructions ne furent plus tolérées. Les guerres sont nuisibles. Tout nous conduisait vers l’anéantissement. Cela mettait en péril les fondements même de notre existence. Pour l’avenir de notre espèce, il fallait renoncer à toutes forces militaires.
 A cause de cette idée, nous avons créés ici six villes liées par l’amitié, la compréhension et la confiance.
 De la première à la sixième.
 La zone de la sixième ville possédait des conditions naturelles abondantes. L’humanité mania avec sagesse la technologie scientifique et les bienfaits de la nature, et elle bâtit une cité idéale d’une rareté historique.
 Ce fut la naissance de la cité sainte N°6.
 En tant que candidats à faire partie de l’élite, Shion avait eu un aperçu de l’Histoire de la ville dans une salle de classe parfaitement équipée pour l’instruction.
 Depuis un moment, il avait de violents frissons. Il lui semblait être gelé jusqu’au bout des doigts.
 S’il fermait les yeux, non, même si ses yeux étaient grands ouverts, la scène de la chasse à l’hommelui revenait à l’esprit. C’était la réalité. Il avait sans aucun doute vu la réalité de ses propres yeux.
 Les baraques avaient été soufflées et les tentes balayées. Les gens qui essayaient de s’enfuir en courant avaient été tués sans merci. Les hommes et les femmes, les personnes âgées et les enfants, et même les bébés avaient été tués sans distinction. Ces gens, qui n’avaient rien d’autre que des pierres à jeter pour se défendre, avaient été attaqués par des armes dernier cri. C’était assurément un massacre.
 Où était la renonciation à toutes forces armées ?
Sans s’en apercevoir, Shion se mordit la lèvre. Le goût du sang se répandit dans sa bouche. Il l’avala avec sa salive.
Il ne connaissait pas les autres cités. Cependant, cependant……
N°6 est devenue, au moins, une nation armée avec une force militaire imposante.
Depuis quand ?
Encore une fois, il avala sa salive au goût de sang.
Cette ville, depuis quand a-t-elle changé ? Depuis quand s’est-elle écartée de l’idéal et de l’idée du traité de Baibaron ?
Depuis quand……
Depuis le début ?
Shion sentit un regard. Il rencontra les yeux de Nezumi. Il eut l’impression d’être enveloppé dans de la soie brillante grise. Son cœur s’emballa. Les nombreuses pensées qui tourbillonnaient dans sa tête se figèrent brusquement.
Instant de plaisir.
C’était quelque chose d’étrange. Même s’il le regardait de loin, Shion était complétement captivé par la lueur de ses yeux.
Mais maintenant, ce n’est pas le moment de s’en remettre à de telles émotions plaisantes et arbitraires. Une personne qui s’arrêterait de réfléchir, se ferait engloutir. Elle serait entraînée très facilement par l’atmosphère du moment et les mots des autres.
Je dois fuir cette émotion, il est hors de question que je sois englouti par le regard de Nezumi, se dit en plus Shion en serrant les mâchoires.
Il est impossible que moi, je désire être englouti. Il est hors de question que j’arrête de réfléchir.
Je comprendrais le monde qui m’entoure à ma manière. Je ferais face à la véritable forme du monde et à la vraie nature de la réalité. C’est ce qu’on appelle le temps du combat, n’est-ce pas Nezumi ?
Shion détourna son regard de Nezumi et ferma les yeux. Il plongea à nouveau dans ses pensées.
Depuis quand……
Depuis le début ?
Oui, depuis le début. N°6, depuis le moment de sa naissance, ne s’est-elle pas écartée de son idée de paix et de coexistence ?
Des gens vivaient dans cette région. N°6 a envahi ces populations. Elle les a asservi comme une bête affamée, dévorant ses proies jusqu’à l’os. En faisant cela, elle a agrandit son territoire et bâtit les fondations d’une cité-état...... La paix ? La coexistence ? De tels mots deviennent risibles, je suis moi-même entré de force dans cet endroit.
Pour la destruction du Bloc ouest. Pour le massacre des habitants du Bloc ouest. La cité a créé des forces écrasantes……
Non, mais… Comment est-ce devenu ainsi ? Les LED émettent de la lumière. Un élément émet de la lumière et fait passer du courant électrique dans une jonction semi-conductrice spéciale. Dans le monde naturel, il n’existe pas de lumière artificielle. C’est la lumière de la science. Est-ce que c’est quelque chose qui est née à N°6 ? Ou bien… Ou bien, ou bien… Est-ce pareil à N°6, ou bien est-ce qu’il existe une civilisation supérieure au niveau scientifique ? Si c’était le cas, il n’aurait pas été facile de l’envahir. Bien sûr, la science n’est ni omnipotente ni la plus forte…….
Je ne comprends pas.
C’est comme si je marchais dans un brouillard complet.
Même si j’y réfléchis, même si j’y pénètre, je n’atteins pas la vérité. Plus j’y réfléchis, plus j’y pénètre et plus je m’y perds. Je ne peux pas sortir de ce labyrinthe. Mes pensées errent au hasard.
C’est frustrant.
Cri-cri.
Les rats qui se trouvaient sur les épaules de Shion sautèrent en bas. Les bébés rats aussi se cachèrent dans les fissures de la roche.
Pourquoi ?
Au moment où il suivit du regard les bébés rats, Shion fut attaqué. Une ombre lui tordit un bras. Sa bouche fut obstruée. En un clin d’œil, il fut ligoté par une fine corde. On le poussa fortement dans le dos et on le jeta au sol, ses mains liées dans le dos. Il fut solidement maintenu au sol par les épaules.
Qu’est-ce que vous faites !?
Shion, calme-toi !
 Nezumi aussi, agenouillé était en train d’être ligoté ; il secouait la tête en direction de Shion.
Ne résiste pas. Tiens-toi tranquille !
Mais, pourquoi font-ils… aïe ! La corde est incroyablement douloureuse.
Détends-toi. Diminue la masse de ton corps en relâchant ton souffle. Tu te sentiras un peu mieux.
 Shion fit comme il le lui disait. Et en effet, il se sentit un peu mieux. C’était quand même une idée brillante. Pendant ces quelques secondes, ils avaient été habilement capturés… Ah, pourtant…
Ce n’est pas comme toi.dit Shion.
Qu’est-ce que tu veux dire ?
Tu es plus doué que ça. Que ce soit avec une corde ou avec un couteau.
Merci pour le compliment. Un compliment de ta part, je ne mérite pas cet honneur.
Je t’admire depuis toujours… Argh
Une corde venait de mordre le cou de Shion. Il suffoquait.
Ne parles pas !fit une voix monotone à son oreille.
Cela devait être cet homme. L’homme qui avait les cheveux, la peau et les yeux couleur sable.
Si tu parles de manière superflue, je t’écrase la gorge.
L’homme sera encore plus la corde. Il semblait qu’il allait vraiment lui écraser la gorge. Les voies respiratoires de Shion allaient être broyées. Il eut l’impression de brusquement gonfler de la tête. Il ne pouvait plus respirer. C’était douloureux.
ça suffit !dit calmement Nezumi.
Tu as l’intention de prendre ta revanche pour tout à l’heure ? Se venger en tourmentant une personne sans défense. Cela fait un moment que l’on ne s’est vu, tu as appris de viles manières, Sasori.
La corde se détendit. Pendant un instant, Shion ne comprit plus rien. Il se recroquevilla sur le sol et se mit à tousser. Il entendit un son comme si on frappait de la chair, ainsi que quelque chose qui rampait.
Il se redressa.
Nezumi avait été jeté près de lui.
L’homme appuyait son pied sur son épaule. Il portait des sandales tressées avec ce qui semblait être de l’écorce.
Toi aussi, Nezumi.dit l’homme et d’une voix un peu plus grave il ajouta :
Je vais battre cette petite bouche. Tu ne comprends pas ta propre situation ? Si c’est le cas, je vais te l’apprendre.
Le pied de l’homme bougea et frappa l’épaule de Nezumi.
Vous êtes introduits depuis l’extérieur. Vous ne pouvez pas vous plaindre si vous êtes tués.
Arrêtez !cria Shion en gigotant. Nezumi releva le visage, et secoua la tête comme pour lui dire de se taire. Mais il lui était impossible de ne rien dire.
Lâche. C’est comme l’a dit Nezumi. Harceler quelqu’un d’attacher qui ne peut riposter, n’est-ce pas le pire ?
Shion.
 Le visage de Nezumi était déformé. Du sang coulait en plusieurs filets depuis sa tempe jusqu’à sa joue.
Shion rassembla ses forces et leva les yeux vers l’homme.
Ici, quel genre d’endroit est-ce ? Est-ce la même chose qu’à N°6 ?
Comme à N°6 !
L’homme frissonna de tout son corps. Une lueur perçante s’alluma dans son regard de sable. C’était une lueur semblable à des intentions meurtrières. Toutefois, Shion ne pouvait s’empêcher de continuer. Il se mit aussi à frissonner. Ce n’était pas de la peur. C’était de la colère. Il bouillait de colère.
C’est cela. N’est-ce pas pareil ? Ce que vous faites n’est pas différent de N°6. Réprimer par la force un adversaire plus faible. Vous employez impitoyablement la force. Où est ce qu’il y a une différence ?
Je n’en vois pas, même si je ne suis pas faible.dit Nezumi en haussant les épaules, ses mains attachées dans le dos.
Shion, parce que je comprends bien tes raisons, arrêtes maintenant. Si tu continues dans cette direction, tu vas te faire tuer. Ce type est très fier de ses coups de pieds.
Je vais le tuer !gronda l’homme et il dit :
C’est un démon. Un démon pervers. Si je ne me débarrasse pas de lui maintenant, il y aura une calamité !
Tu es perspicace, Sasori.
Nezumi soupira d’un air affecté.
Tu as raison. Ce sera assurément une calamité. Qui plus est, une de super qualité !
Nezumi, quand tu dis calamité… tu parles de moi ?
Oui, de toi.dit Nezumi avec un rire léger.
Il est mauvais. Il porte le mal et amène la calamité. Je le sais. Nezumi, tu as dit qu’il était un habitant de N°6.
Pour être exact, il est un ex-habitant. Jusqu’il y a peu, Shion vivait à l’intérieur de cette ville.
C’est pourquoi il est à ce point mauvais. Non… ce type… est une créature de N°6.
Soudain, les yeux de Nezumi devinrent deux fentes. Il lécha le sang sur sa lèvre du bout de la langue.
De N°6… Je vois. C’est comme ça que tu perçois les choses.
Tu m’a compris. Tu comprends. Il faut tuer ce type. Il faut s’en débarrasser maintenant. Si on ne le fait pas……
 L’homme fit un pas en avant. Inconsciemment, Shion s’éloigna. Les intentions meurtrières émises par l’homme le faisaient s’éloigner.
Il est sérieux.
 Cet homme a sérieusement l’intention de me tuer.
 L’homme allait faire un autre pas en avant lorsqu’il tomba à la renverse. Nezumi lui avait fait un croc-en-jambe.
 Nezumi se leva d’un bond. La corde glissa le long de son corps. Comme un tour de passe-passe. Dans sa main, il tenait un petit couteau.
Nezumi enfonça son genou dans l’abdomen de l’homme qui tentait de se relever. Celui-ci laissa échapper un gémissement étouffé. Il se renversa en arrière à cause de la douleur, et désormais sans défense, Nezumi pressa la lame de son couteau contre sa gorge.
Je me suis donner beaucoup de peine pour l’amener jusqu’ici. Je serais embêté si tu t’en débarrassais si simplement.
A quelle fin… as-tu amené… une telle calamité ? As-tu l’intention de nous détruire ?
Au contraire.dit Nezumi en retroussant les lèvres.
J’enterrerais N°6. C’est pour cela que je l’ai amené.
N°6 ? Ce type a un tel pouvoir ?
Je me le demande ? Si je n’essaye pas, je ne le saurais jamais. Je ne peux pas le laisser être tué devant mes yeux, avant d’avoir essayé. D’ailleurs, ne penses-tu pas qu’être jaloux est honteux ?
Jaloux ?
C’est ça. Tu es jaloux de Shion. Il a gagné facilement la confiance des rats, et tu en es jaloux. N’est-ce pas ?
Il y eu un bruit à peine perceptible. L’homme était en train de grincer des dents.
Nezumi… Comme toujours, je ne te supporte pas. Tu me dégoutes. Pour commencer, je vais t’étrangler.
Quelle merveilleuse promesse. J’ai vraiment hâte. Mais avant cela, c’est à toi.
Le sourire ironique disparut des lèvres de Nezumi. Une goutte de sang coula sur son menton et tomba sur la poitrine de l’homme, la teintant de rouge.
Tu vas en faire le serment, Sasori. Que dorénavant tu ne poseras plus jamais la main sur Shion.
Le tranchant de la lame du couteau bougea dans un tressaillement. La gorge de l’homme aussi tressaillit.
Fais en le serment.
L’homme resta obstinément silencieux.
Cela suffit.résonna une voix calme. C’était faible, mais elle contenait même un rire.
Tu n’as pas changé, Nezumi. Que ce soit ton habileté au couteau ou ton sens de l’ironie, tu n’as pas faiblit. Oui, tu t’es même affuté davantage.dit en riant tranquillement le vieillard sur le palanquin. Son palanquin fut doucement déposé sur le sol.
Rô.
Tu as grandis. Tu es méconnaissable. Pouvoir te voir ainsi…
Nezumi lâcha l’homme et se mit à genoux. Après avoir fait tournoyer une fois le couteau, celui-ci disparut de sa main. Une fois de plus, Shion avait l’impression d’être le témoin d’un tour de passe-passe. L’homme chuchota quelque chose, et grinça de nouveau des dents. Un rat d’égout courut sur les genoux de Shion.
Je croyais que tu étais parti pour une terre lointaine il y a longtemps. Ne te l’avais-je pas ordonné ? Quitte cet endroit, oublie tout, abandonne tout et vis librement.
Rô, écoutez-moi.
Tu ne devais pas revenir ici. Quoi qu’il arrive, tu ne devais pas revenir.
Ce n’est pas cela la liberté.
Nezumi serra les poings.
Aussi longtemps qu’existera N°6, je ne pourrais pas être libre. Je ne pourrais pas oublier, ni abandonner non plus.
Nezumi.
Même vous, vous devez le comprendre. N°6 existe. Même maintenant, elle est là. Pourquoi serais-je le seul à me libérer ? Une telle chose m’est impossible.
Tu veux dire que tu en es captif. Tu dois vivre sans en être prisonnier. Dans le cas contraire, tu ne peux pas survivre. Cela, je le comprends très bien. C’est pourquoi, je t’ai lâché dans le monde extérieur. Alors pourquoi être revenu ?!
Je m’en suis rendu compte.
De quoi ?
Je me suis rendu compte que vos paroles sont de purs mensonges.
L’atmosphère vacilla. Parmi les gens qui regardaient la scène un peu partout depuis la paroi rocheuse, des voix fusèrent, dont le sens des paroles ne les atteignit pas.
Vos paroles sont de purs mensonges. Elles ne valent rien. Je ne peux pas vivre en étant captif. Non, Je ne peux pas être prisonnier. Même si vous prétendez être libre, au final, ne l’êtes-vous pas encore ? Moi, je deviendrais réellement libre par mes propres moyens. Je me libèrerais. C’est pour cela que je suis revenu ici.
Pour la liberté dont tu parles, vas-tu combattre N°6 ?
Me battre et gagner. Je vais l’effacer de cette terre, faire place nette. Je constaterais de mes propres yeux la fin de la cité sainte, et je serais libre pour la première fois. Je pourrais vivre librement. C’est ce que ça signifie pour moi… Je pourrais m’en aller.
Nezumi !s’exclama Shion sans s’en rendre compte, en attrapant l’épaule de celui-ci.
Qu’est-ce que tu veux dire ? T’en aller, comment ça… ?
Shion
Nezumi cligna des yeux à plusieurs reprises.
Comment as-tu fait… pour la corde ?
Quoi ?lui répondit Shion.
La corde. Comment as-tu fais pour la retirer ? Tu n’avais pas de couteau, il me semble.
Ah? Aah, les rats l’ont rongée.
Les rats ? Ce n’est pas possible.
Tiens, ici. Ils l’ont rongée. En un clin d’œil. Ils sont habiles, n’est-ce pas ?dit Shion qui tendit le bout de corde et l’agita sous les yeux de Nezumi.
Nezumi regarda attentivement le bout déchiqueté qui avait été rongé et fronça les sourcils.
Tu peux manipuler les rats aussi facilement ?
Moi ? C’est insensé. Je ne suis pas capable d’un tel tour de force. Je ne peux pas utiliser les rats à ma propre convenance. Ils ont eu la gentillesse de le faire.
Par gentillesse… ? Il semblerait que les rats ont rongé la corde qui a été attaché par leur maître. C’est assurément par gentillesse. Tu les as vraiment éduqués avec soin, Sasori.
L’homme couleur de sable appelé Sasori bougea un peu, mais ne répondit rien. A la place, le vieillard soupira.
Arrête tes sarcasmes, Nezumi. C’est une de tes mauvaises habitudes. Même si tu as grandis, on dirait que ce penchant ne s’est pas corrigé. Tu es vraiment désagréable.
 Il y avait de la chaleur dans le ton du vieillard. Il ressemblait à un père qui sourit amèrement de la conduite de son enfant. De l’affection flottait dans cette chaleur.
 Cette personne chérissait Nezumi.
Shion regarda fixement le vieillard sur son palanquin. Je pense que c’est la première fois. C’est la première fois que je rencontre une personne qui montre de l’affection chaleureuse et douce envers Nezumi.
 Nezumi a toujours été seul.
 Il vivait seul. Il n’y avait personne à ces côtés. Il n’acceptait personne. Shion, à sa propre manière, aimait Nezumi. Il était envouté par sa beauté, sa ténacité et son habileté. Il souhaitait être auprès de lui. Un tel sentiment existait comme une vérité qui l’ébranlait de l’intérieur. En vérité, il était troublé de savoir comment nommer un sentiment pareil.
 Admiration, amitié, estime, amour… Shion était complètement désorienté.
 Cependant, le sentiment qu’exprimait le vieillard sur son palanquin était assurément de l’affection. Un parent qui chérit son enfant. C’est cette émotion.
Nezumi avait une telle personne.
Shion.appela le vieillard.
Oui.
Viens par ici.
Oui.
Attendez !
dit Sasori en s’avançant et attrapant le bras de Shion.
Rô, ce type est dangereux. Il porte le mal en lui. Il ne doit pas s’approcher de vous.
Le mal… Cet adolescent ?
Ce n’est pas un adolescent, mais un démon. Ce type, il va tout détruire. Je le sais. Rô, pourquoi ne le voyez-vous pas ?
Comme on pouvait s’y attendre ces paroles irritèrent Shion. Il essaya de lui faire lâcher son bras. Les doigts de Sasori bougèrent à peine, qui plus est, il rassembla ses forces et resserra sa prise sur Shion.
Ce n’est pas l’important. Shion, viens par là.
Rô !
Ce n’est pas l’important. Le bien et le mal, l’honnêteté et la perversité, la vérité et le mensonge, tous se ressemblent. La difficulté vient dans le fait de les distinguer les uns des autres. N’est-ce pas, Nezumi ?
Assurément.
C’est le garçon que tu as amené. Il n’est pas complétement mauvais et il n’est pas complétement intègre. Bien, Shion, approche.
Les doigts le lâchèrent. Sasori, en grondant tout bas, fit quelques pas en arrière. Son corps couleur de sable se glissa dans l’obscurité.
Shion marcha lentement jusqu’au palanquin. Plusieurs rats couraient autour de ses pieds.
Le vieillard avait des yeux noirs perspicaces. Son regard, habité d’une lumière franche, était fixé sur Shion.
Cet homme……
Shion eu l’impression qu’il était plus jeune que ce qu’il pensait. Il se faisait appelé[12], et comme les cheveux qui encadraient son visage étaient blancs, il s’était imaginé que c’était une personne âgée. Cependant, la force de son regard n’était pas celle d’une personne de grand âge.
Le vieillard tendit une main. Une main blanche et maigre.
Ta tête.
Pardon ?
Me permets-tu de toucher tes cheveux ? Ils ont une couleur très rare.
Shion se pencha et présenta sa tête. La main du vieillard, comme si elle traçait des ronds, tâtonna les cheveux de Shion. Cela le chatouilla un peu. C’était aussi embarrassant de se faire caresser la tête.
Pourquoi ?demanda le vieillard d’une voix plus grave. Shion entendit sa voix devenir rauque. Par rapport à avant, la douceur du touché disparu et le geste se fit dur. Pourquoi de tels cheveux… ?
Ce n’est pas que ses cheveux.
Nezumi s’approcha à grandes enjambées.
Shion, montre-lui ton serpent rouge.
Quoi ? Pas question.
Pourquoi ?
Je dois enlever mes vêtements. Pas question de mettre nu devant autant de personnes.
Idiot.dit Nezumi en faisant claquer sa langue.
De quel royaume es-tu la princesse ? Ce n’est pas le moment de faire des manières ! Dépêche-toi ! Montre la partie que tu portes sur le dos.continua-t-il en retroussant sa chemise d’un doigt. Shion s’écarta précipitamment.
J’ai compris. Je le fais moi-même. Je peux enlever ma chemise tout seul.
C’est admirable. Je te félicite.
Contrairement à ses paroles, le regard de Nezumi ne manquait pas de sérieux. Il était aussi tranchant que de la glace. Shion ôta sa chemise, et s’approcha du vieillard d’un demi-pas.
Le vieillard prit une profonde inspiration. Il suivit de la pointe d’un doigt tremblant la cicatrice rouge qui se découpait sur le torse de Shion.
Ceci… cette cicatrice…
Afin d’inciter Shion à parler, Nezumi se tapota le menton.
Est-ce que tu peux en parler ?
Cette cicatrice… De quelle façon… ? Non,… c’est impossible…
C’est à cause des guêpes parasites.
Des guêpes parasites ?
Ce sont des guêpes qui parasitent les humains. A la fin, elles tuent leurs hôtes et une guêpe en naît. Je… j’ai survécu. Cette cicatrice et ces cheveux décolorés en sont le résultat.
 Les lèvres du vieillard se tordirent. Ses yeux entourés de rides brillèrent étrangement. Nezumi serra fermement l’épaule de Shion.
Rô, N°6 va s’effondrer. Elle va s’effondrer mais pas seulement par une force extérieure, mais aussi une de l’intérieur. Ceci en est le symptôme.
Des guêpes parasites qui prennent pour hôte des humains… Je vois… Sont-elles apparu dans cette ville ?
Oui, c’était sans doute accidentel. Elles ont dépassé les prévisions des types qui régentent N°6 et sont apparues. Ils sont responsables de la mort par parasites de nombreux citoyens. Les autorités municipales ne les ont pas empêchées. Je n’ai jamais entendu une situation où elles n’avaient pas protégées les citoyens avec acharnement. Si cela se trouve, ces types n’ont peut-être pas saisi la gravité de l’affaire. Parce qu’ils sont gonflé d’orgueil.
D’orgueil……
L’orgueil de contrôler ce monde selon ses propres attentes. Ou bien l’orgueil de pouvoir devenir des maîtres tout-puissants… Ils sont aveuglés par une telle perspective, et ne sont plus capables de voir la véritable forme de la réalité. Ils ont perdu la capacité de prévoir.résonna la voix de Nezumi, comme si elle raclait la terre basse, tout en atteignant clairement les oreilles des personnes qui écoutaient. Ce n’était qu’une voix basse et vive qui montait dans l’obscurité.
L’intérieur de la ville est encore paisible. Ils maintiennent la tranquillité habituelle. Cependant, c’est la même chose que de verser beaucoup d’eau dans un récipient qui est à sa limite. La situation est à peine contenue.
Il suffit seulement d’ajouter une petite stimulation et cela débordera complétement… J’ai compris la situation.
La rupture. Détruire le récipient et tout se répandra.
 Le vieillard chuchota doucement quelque chose. Et puis, il joignit les doigts comme pour prier.
Je vais vous raconter… Tout depuis le début.
Son regard brillant se braqua sur Shion.






[1] Le titre du chapitre est une partie d’une citation de Macbeth. La citation entière le suit. Je l’ai pris sur internet en vitesse, mais dès que je peux passer à la biblio, j’irai la vérifier.
[2] Inukashi est le nom du gérant de l’hôtel en ruines, qui se traduit littéralement par Loueur de chien. Car ce dernier loue ses chiens à ses clients pour se protéger du froid.
[3] Ici, Shion se souvient de ce qu’Inukashi lui avait dit un jour.
[4] Ici, il est fait référence au passage par lequel Nezumi et Shion sont arrivés dans la maison de redressement dans le tome précédent.
[5] Sous-entendu qu’avant il n’avait jamais vraiment marché la nuit ou couru de toutes ses forces.
[6] Hamlet et cravate sont deux des souris de Nezumi. C’est Shion qui les a nommées ainsi et il les affectionne beaucoup.
[7] Rô est le surnom du vieillard. Il signifie littéralement « vieux, âgé ».
[8] Le tsuyuharai, d’après ce que j’ai compris est une sorte de héraut dans les cérémonies de combat de sumo qui précède le combattant. Si quelqu’un en sait plus n’hésitez pas.
[9] Ancien journaliste, il connaissait la mère de Shion et il a aidé ce dernier à s’infiltrer dans la maison de redressement.
[10] Toute cette partie était une gigantesque phrase, je ne suis pas sûre du tout de l’avoir bien traduite.
[11] Toute cette partie était une gigantesque phrase, je ne suis pas sûre du tout de l’avoir bien traduite.
[12] Cela signifie « vieillard ».

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