Chapitre deux
「Fuaaah」
Quand Rihan
bâilla, la voix de Karasu Tengu[1]
s’arrêta brusquement.
Avec un
toussotement affecté, Karasu Tengu tourna son regard vers Rihan. Karasu Tengu
était en train de lire à haute voix les 『Entretiens de Confucius』, et là, le bâillement sans retenue de Rihan s’y
était superposé.
「Rihan-sama[2], il
est impératif que vous écoutiez sérieusement. Car après cela, vous devrez lire
ce même passage.」
「Je sais Karasu Tengu !」dit Rihan en faisant la moue.
Ils se
trouvaient dans une pièce de la demeure du clan Nura. Là, Rihan dix ans et
Karasu Tengu étaient assis l’un en face de l’autre autour d’un petit bureau. Il
venait étudier ici comme le faisait les enfants à l’école du temple de la ville[3]. Les
matières étaient l’écriture, le calcul et la lecture des classiques chinois.
Pourtant
cet enseignement une fois tous les trois jours, pour Rihan était un véritable supplice. Comme pour l’école du temple de la
ville, où il n’y avait pas beaucoup d’élèves, Rihan était le seul élève. Le
plus vite il pourrait sécher le mieux se serait. Il prit une grande inspiration
et dit comme toujours le menton dans la main :
「Dis, Karasu Tengu, pour aujourd’hui arrêtons-nous là.
On a assez étudié.」
「Assez ? C’est une plaisanterie. Rihan-sama, la
moitié de la journée n’est pas encore terminé. Après cela, je vous ferez faire
une dictée de kanji.」
「Aussi une dictée ? Argh, je vais mourir…」
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Et voilà, Rihan détestait les répliques du tac au tac de
Karasu Tengu.
Si les matières avaient plus d’intérêt, je les
écouterais même avec sérieux, se disait toujours Rihan.
Par exemple, ce qui concernait les règles lors de
l’Echange des coupes de Saké[5] ;
ou bien encore, ce qui concernait la préparation à l’entrée
dans le clan ; ou la manière d’utiliser 「l’Osore[6]」efficacement. Ce genre de cours lui conviendrait
parfaitement. Mais pendant ces cours-ci, il ne pouvait supporter d’étudier qu’en
baillant et en appuyant son menton sur sa main.
En vérité, Rihan avait essayé de demander avec
espoir ces autres cours à Karasu Tengu. Malheureusement, sa réponse était ainsi,
「Ces choses, je vous les apprendrais petit à petit.」
「Il est certain que vous devrez apprendre le code de conduite des Yôkai. En ce qui concerne
l’échange des coupes de saké, il faudra y faire attention au moment des
intronisations. Il est évident, Rihan-sama, que vous devrez les savoir.
Cependant…….」
Actuellement, la situation en était à ce point et Karasu
Tengu souleva un manuel d’études.
「C’est le savoir. Il vous faut acquérir un minimum
d’instruction pour ne pas être désavantagé, Rihan-sama.」
Les principes de Yôhime, sa mère, étaient qu’il
possède la même étendue de connaissances que les enfants de la ville. Pas tous
ne devenaient des intellectuels et des professeurs, mais les enfants de la
ville devenaient adultes en étudiant, et sa mère disait également que connaître
ces choses avait un sens. Karasu Tengu partageait son avis, et il pouvait
enseigner ses connaissances à Rihan.
Cependant même si c’était des leçons particulières, cela
prenait du temps d’étudier, et il ne pouvait rien contre la monotonie. Karasu
Tengu restait immobile au même endroit, mais rien à faire, Rihan n’y parvenait
pas. Cela faisait à peine deux heures qu’ils travaillaient lui avait dit Karasu
Tengu, mais il avait l’impression que ce laps de temps était le huitième enfer[7].
「Allez continuons.」dit Karasu Tengu en recommençant la
lecture des 『Entretiens de Confucius』. Les mots affluèrent aux oreilles de Rihan comme un
sutra bouddhiste dont on ne comprend pas la signification. Bien qu’il était
préférable de ne pas connaître le sens premier des mots, lire à voix haute en
écoutant attentivement permettait de comprendre naturellement le sens des mots.
Enfin, c’est ce que disait Karasu Tengu, mais en cela aussi Rihan avait
l’impression d’être dupé. Il lui sembla qu’il allait bailler à nouveau, mais il
se retint de justesse.
Je veux aller jouer dehors, pensa-t’il sincèrement.
Peu de temps auparavant, il avait entendu la cloche de quatorze heures sonner.
C’était vers cette heure que l’entraînement de Sônosuke se terminait. Quand il
pensa à Sônosuke, son envie d’aller jouer devint de plus en plus dure à
contenir.
------ C’est bon pour aujourd’hui, pensa-t-il. Rihan,
du fond du cœur, tira la langue et, comme si c’était normal il se leva et sorti
de la pièce où Karasu Tengu continuait le cours.
「Ah, Rihan-sama, nous devons encore faire ceci !」
Quand Rihan entendit la voix forte de Karasu Tengu
qui continuait comme s’il n’avait pas remarqué qu’il n’était plus là, il passa
promptement la porte de la demeure.
S’introduire sans être vu dans les maisons des gens
était le talent de Nurarihyon-sama, et bien sûr Rihan l’utilisait pour
s’échapper de leur demeure.
Hayashida Sônosuke traversait le pont.
Rihan était en train de jeter des pierres dans le
lit à sec de la rivière.
「Ohé, Sônosuke !」l’appela-t-il en jetant une pierre.
「Rihan」répondit Sônosuke en souriant. C’était
un garçon du même âge que Rihan. Il portait une tenue d’entraînement toute
rapiécée et un shinai[8].
Sônosuke rejoignit Rihan dans le lit de la rivière.
「Je pensais bien que c’était l’heure à laquelle tu
sortais du dojo.」
「Désolé de t’avoir fait attendre.」
Sônosuke vint à
côté de lui et posa ses affaires à ses pieds.
「Mais Rihan, aujourd’hui, n’est-ce pas un jour
d’études ?」
「Oui, ça l’est, mais je me suis échappé.」
「Alors, tu l’as encore utilisé ?」
「Ah, je l’utilise quand je veux m’éclipser à tout
prix.」
Quand Rihan lui
sourit d’un air malicieux, Sônosuke lui sourit en retour.
「Il le sera. Mais il y est déjà habitué !」
A ces paroles
insolentes, le sourire de Sônosuke s’assombrit.
[1]
Yôkai corbeau, très connu dans la culture japonaise.
[2]
Marque de politesse.
[3]
Ecole élémentaire durant la période Edo.
[4]
Sorte d’esprit, de monstre ou de fantôme dans le folklore japonais.
[5]
Les Yôkai en échangeant une coupe de saké faisait des serments, d’amitié,
d’allégeance,…
[6]
L’Osore est le pouvoir spécifique aux Yôkai. Il s’agit de la capacité à
inspirer la peur à son adversaire.
[7] L’enfer
Avichi, le huitième enfer est le plus douloureux dans le bouddhisme, l’enfer
des douleurs ininterrompues
[8]
Sabre de bambou.
[9]
Marque de politesse.
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